«Un coup d’œil sur les marchés»
En 1900, le lundi n’est pas reconnu comme un jour de marché intéressant au Québec. D’ailleurs, dans les petites villes, il n’y a tout simplement pas de marché public ce jour-là. Allez savoir pourquoi le lundi, 25 avril 1898, à Québec, c’est l’affluence. Le beau temps ? Le printemps ? Sans doute. Accompagnons le journaliste du Quotidien de Lévis alors.
Les marchés de Québec présentaient une animation inaccoutumée ce matin.
La revue des marchés de la basse ville : Finlay et Champlain, surtout par cette splendide journée ensoleillée de printemps n’a rien de commun, veuillez nous en croire.
En arrivant, on est frappé de l’animation plus qu’ordinaire qui y règne. Les cultivateurs sont par centaines, alignés par rang, surveillant leur étalage de denrées et attendant le client tout en jacassant entre eux et fumant une bonne pipe de tabac canadien, pendant que les acheteurs, le panier au bras, circulent à travers ce dédale, l’un cherchant un bon quartier de veau, l’autre désirant des œufs, mais des œufs frais avec une petite tinette de beurre, un troisième, la bonne ménagère, une douzaine de bouts de boudin, etc. Chacun cherche le morceau qu’il désire, et quand il l’a trouvé : Combien ce beurre ?
— 22 cts, ma chère dame. C’est bon marché.
— 22 cts ! vous n’y pensez pas ! mais j’en ai vu tout à l’heure pour 20 cts, et du bon !
— Tiens, goûtez ça et vous m’en direz des nouvelles, rétorque le cultivateur.
Et, après avoir goûté, l’acheteuse fait la grimace et s’en va plus loin, pour essayer d’avoir à meilleur marché.
Et, avec un autre cultivateur, la même chose recommence.
L’observateur, qui veut faire une scène de mœurs, n’a qu’à se rendre sur nos marchés par un beau samedi, et il pourra étudier à son aise les différents caractères.
La scène qui se passe sur le marché Finlay est tout particulièrement intéressante. La foule s’y presse énorme comme aux grands jours de foire.
Ce sont surtout les femmes des cultivateurs qui s’installent là. L’une vend des raves — car il y a des raves canadiennes ce matin sur le marché, allez dire maintenant que nous sommes arriérés —; une autre a de grandes boîtes d’oiseaux blancs [le Bruant des neiges (Plectrophenax nivalis, Snow bunting)] qui s’enlèvent à 10c la douzaine; une troisième a de ces milles riens confectionnés à la main et qui se vendent quelques sous : bouquets de fantaisie teints aux vives couleurs et qui attirent les regards; une autre a tout un étalage de souliers en drap avec mince semelle en cuir, pour les ménagères; une cinquième a tout un assortiment de bas de laine de toutes couleurs. Rendu au soir, tout cela est vendu, et les femmes des cultivateurs avec leurs petites industries contribuent à grossir la bourse de leur mari.
Vu l’abondance des denrées ce matin, les prix étaient assez bas. Ainsi le quartier de bon veau se donnait pour 80 à 90 cts selon la qualité; il y avait du sucre d’érable pour 4 ½ cts et 5 cts; les bons œufs se vendaient 12 cts la douzaine; le sirop d’érable 60 cts le gallon; les patates, 50 cts le sac.
Les oiseaux blancs se vendaient 10c. la douzaine, et il y en avait en grande quantité, des centaines et des centaines de douzaines. Des cultivateurs en avaient pleins de grandes boîtes. […]
Les charlatans, évidemment, ont leur place toute marquée sur nos marchés et il faut voir avec quelle verve ils entretiennent la foule des badauds qui entourent leur estrade pour entendre faire l’apothéose de tous les baumes et les panacées qui guérissent de tous les maux.
Pour finir, une conversation saisie au vol entre une vendeuse et une ménagère :
— Est-elle grasse encore cette volaille ?
— Si elle est grasse, répliqua la grosse vendeuse, c’est comme si on me tâtait le mollet, ajoutant l’action à la parole.
Source de l’illustration montrant le débarcadère et la halle du marché Finlay à la basse-ville de Québec : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds Fred C. Würtele, cote P546, D1, P57