L’heure juste d’une institutrice
Au tout début du 20e siècle, le journal La Patrie souhaite l’amélioration du système scolaire québécois, particulièrement au niveau primaire. Aussi, s’empresse-t-il d’ouvrir ses colonnes au public intéressé à prendre la parole. En mars 1901, un lecteur, qui signe «Habitant de Drummondville», dit trouver ce système scolaire public trop dispendieux.
Une institutrice, du nom d’Ecila, enseignante depuis neuf ans dans une école primaire, lui répond, lui donne l’heure juste. Pièce d’archives. Bien rare témoignage de ce que vit une institutrice en 1900.
Monsieur le Directeur, j’admire beaucoup la campagne entreprise par votre populaire journal en faveur de la cause de la question scolaire dans notre province. La Patrie est à peu près le seul journal du Canada — que je sache, du moins — à s’occuper de cette question, qui est pourtant très importante en elle-même. […]
Votre lettre d’un «Habitant de Drummonville» publiée dernièrement dans La Patrie m’a beaucoup amusée. Ce monsieur, probablement sans le savoir, est le fidèle écho de la plupart des autres «habitants» de notre province ! On trouve toujours que l’on paye trop cher ! Voilà le grand mot lâché !
Dans la plupart des cas (il n’y a pas de règles sans exception cependant), on a le soin de choisir, pour représenter les autres «habitants», des commissaires d’écoles «bien ménagers», suivant l’expression populaire. Quand ces messieurs choisis bien «ménagers» sont en train de conclure un marché avec une pauvre jeune fille, imaginez-vous si les largesses sont rares ! D’abord, on commence par nous dire : «Mais vous n’avez presque rien à faire ici ! Il n’y en a pas de grands ! Aussitôt leur première communion faite [à la fin de l’école primaire], on les retire de l’école. Il en est ainsi de nos filles : il n’est pas nécessaire d’être si instruite pour être la femme d’un habitant !»
Alors, on est convaincu d’avance qu’avec trente ou quarante marmots de six à douze ans, on n’a rien à faire dans une école ! C’est très bien jugé ! Et on voit du premier coup d’œil que ces «docteurs de la loi» s’y connaissent bien en fait de conduire une école ! Mais ils sont si «ménagers» qu’ils méritent bien d’avoir été choisis pour des Sages de leur paroisse.
Ensuite, vient le supplice de finir le marché; marché qui s’annonce déjà si alléchant pour l’institutrice. Si on a fait l’«extravagance» de donner cent piastres l’année précédente, on commence cette année à en offrir soixante et quinze ! Et je vous assure que, si l’esclave réussit à avoir cent piastres «pour faire comme les autres», elle peut être certaine que, parmi la phalange des choisis, quelques-uns d’entre eux, pour ne pas dire tous, verront d’un mauvais œil tout le temps qu’elle sera là, et lui reprocheront intérieurement — extérieurement aussi peut-être — de recevoir plus qu’elle ne mérite, serait-elle un phénix dans son art. J’ai vu cela de mes yeux vu.
Mais, me direz-vous, ce devait être dans une très pauvre paroisse, dans une place nouvelle ? Détrompez-vous; c’était dans une de nos anciennes paroisses — trop ancienne peut-être — du comté de B. Dans une paroisse qu’un de nos évêques et quelques hommes politiques qualifiaient du nom pittoresque de «jardin du district». C’était bien en effet un jardin, mais si mes souvenirs ne sont fidèles, les fruits de cet Éden n’étaient pas pour la maîtresse d’école !
La suite de cette lettre d’une institutrice à La Patrie est plus longue encore. Mais quel témoignage ! J’en suis même à me demander si je ne devrais pas la poursuivre demain.
Source de l’illustration : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Sept-Îles, Fonds Pauline Laurin, Documents photographiques, Les Montagnais de la Romaine, cote P60, S1, SS1, P90. Cette photographie non datée est antérieure à 1960. Elle montre la première classe d’été à La Romaine, sur la Côte-Nord. Les enfants, âgés de 5 à 16 ans, Innus, doivent s’initier aux rudiments de la discipline scolaire. L’institutrice Michèle Asselin est assise par terre. Le curé Alexis Joveneau et l’infirmière Jeanne-D’Arc Gagnon sont aussi présents sur l’image.