Les aventures du « Pilot »
On sait que la traversée du fleuve entre Québec et Lévis se fait au moyen de bateaux traversiers dès le 19e siècle. Or, à la fin de ce siècle, sitôt qu’arrive la Sainte-Catherine, le 25 novembre, on range les traversiers d’été, le North et le South, pour les remplacer par des traversiers d’hiver, à coque renforcée à cause des glaces, le Queen, le Polaris et le Pilot. En principe, ces bateaux disposent d’un moteur plus puissant, compte tenu des aléas de la traversée. Toutefois, on se rend compte à l’usage que l’un d’entre eux, le Pilot, n’est pas aussi vaillant que les deux autres. Il s’ensuit donc, à l’occasion des aventures.
Le journal Le Soleil du 30 janvier 1908 nous décrit l’une d’entre elles. Le Pilot dérive dans les glaces durant trois heures.
Le voyage, pour peu ordinaire qu’il fût, ne fut pas du tout pénible. Une certaine expression de crainte se fit bien voir, au début, mais la jovialité de l’équipage, jointe à l’entrain des charretiers (ils sont toujours d’agréable compagnie), eut bientôt fait de dérider les plus sombres. Dès le départ, à la dérive, un farceur déclara qu’il fallait faire quelque chose pour « tuer le temps ». « Jouons aux cartes » dit un M. Pitre Poliquin. Et tirant de son paletot un jeu de cartes, il alla s’installer à une table où bientôt quatre joueurs se disputaient la victoire dans une excitante partie de euchre.
Naturellement, les perdants laissèrent de bonne grâce la place à deux autres passagers, et, à tour de rôle, on passa à la table pour prendre une partie de euchre. Le capitaine, de son côté, se multipliait pour rendre aussi agréable que possible cette croisière extraordinaire, et il conduisit à travers toutes les salles du bateau ceux qui désiraient jeter un coup d’œil sur les machineries et les autres appartements du navire. Les chevaux, qui se trouvaient à bord, eurent le plus à souffrir de cette échauffourée du « Pilot ». Exposés au froid et au vent, ils ne pouvaient être aussi bien protégés que les passagers, car il était impossible de les conduire dans les appartements chauffés. On les abrita cependant, du mieux qu’on put, et on les détela pour les faire marcher sur le pont et empêcher le froid de les figer sur place.
Le fameux jeu de euchre, tant aimé de la population de la région de Québec, avait fait son effet. Hommage à ce Pitre Poliquin… et à l’amabilité du capitaine aussi, bien sûr.
Toutefois, une semaine plus tard, au cours d’une tempête, voilà que la traversée du Pilot entre Québec et Lévis dure six heures (!), de 23 heures 30 à 5 heures 30. Mais qu’on se rassure. Le Soleil raconte le 6 février 1908 :
Les employés de la compagnie firent tout en leur pouvoir pour accommoder leurs passagers. Au milieu de la nuit, on servit un réveillon qui fut fort apprécié de ceux qui étaient ainsi retenus en mer, en pleine nuit, et, pour faire passer l’ennui général, on sortit des paquets de cartes et on ouvrit un concours de euchre.
On avait prévu le coup cette fois-ci : un réveillon en pleine nuit et une profusion de jeux de cartes pour s’adonner au euchre.
Cependant, le lendemain, dans une tribune libre, un lecteur du journal dénonce la Compagnie de la traverse à la suite de la quatrième dérive du Pilot en deux semaines et trouve la situation scandaleuse.
Bonnes gens, si vous vous embarquez à bord du Pilot, sachez que vous venez peut-être d’acheter un billet pour une croisière dans les glaces du Saint-Laurent, agrémentée de euchre… et même d’un repas dans la nuit.
Ci-haut, l’image du Pilot provient de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds J. E. Livernois, Photo-reportages édités, cote P560, S1, P439.
La belle époque.
Pas de stress.
On vit au rythme des glaces.
Oui, mais il y en a eu un qui a stressé, écrivant au journal pour dénoncer la situation. C’est sans doute un des passagers qui est arrivé en retard chez lui ou au travail.
C’est un grand plaisir que de découvrir votre site. Je puis vous assurer que je vais m’y promener le plus souvent possible. Quelle bonne idée que ces petites chroniques qui nous racontent le Québec «des gens ordinaires». C’est une histoire si riche d’anecdotes, de courage, de créativité, de débrouillardise, d’entraide…
Merci monsieur Jean Provencher de votre merveilleuse initiative. Je vais la faire connaître à mes amis immigrants. C’est une façon facile et plaisante de connaître à petites doses, facilement accessibles, notre merveilleux Québec.
Au plaisir de vous lire.
Merci beaucoup, chère Madame Des Chênes. Bonne route ensemble.