Des pluies diluviennes en plein cœur de décembre
Il est bien difficile de prédire longtemps à l’avance le temps qu’il fera au Québec, terre bénie des météorologues. Et les événements climatiques hors de l’ordinaire sont si fréquents qu’on pourrait presque les dire habituels.
Retournons au début du 20e siècle. Le samedi 14 décembre 1901, après un redoux, des pluies diluviennes tombent toute la journée au sud du Saint-Laurent, particulièrement dans la Montérégie, et les affluents du fleuve débordent partout. La Yamaska, par exemple, sort de son lit et la ville de Saint-Hyacinthe est inondée. Le lendemain, il se met à geler à pierre fendre.
Le 16 décembre, le correspondant du journal La Patrie raconte l’événement.
Le temps doux de ces jours derniers ainsi que la pluie diluvienne de samedi ont transformé notre rivière en un véritable fleuve qui a débordé, au grand préjudice des quartiers de la basse-ville. En haut de la digue de la Compagnie Manufacturière, le volume d’eau de l’Yamaska a pris des proportions inusitées. De mémoire d’homme, on n’a jamais vu ici l’eau aussi haute. En face de l’aqueduc, l’eau a envahi la rue Girouard sur une épaisseur de sept à huit pouces. La glace a fort endommagé les quais de MM. Boisseau & Duchesneau, ainsi que la cabane à chaloupes de Mme Lamothe. Plusieurs chaloupes ont été emportées à la dérive par le courant.
Dans la nuit de samedi, le niveau de l’eau a monté assez vite pour emprisonner une centaine de familles dans leur logis. Ces familles furent obligées de se réfugier au second étage. C’est un triste spectacle de voir ces masses d’eau circuler librement dans les rues de notre ville, et on se sent pris de compassion pour les habitants de cette partie de la ville.
Une foule considérable s’est portée, malgré le grand froid et la neige, hier après-midi sur les lieux. Un bon nombre de gens charitables secourent les victimes en leur fournissant du bois et des provisions de bouche.
La scierie de M. L. P. Morin, ainsi que la fonderie de MM. Dussault et Lamoureux sont inondées. Ces derniers ont perdu des centaines de barriques de sable. Le soubassement de la manufacture de MM. Côté et Frère aurait certainement été inondé si ces messieurs n’avaient fait fonctionner leurs pompes à vapeur qui rejetaient 1,500 gallons d’eau à la minute. Vu la hauteur de l’eau, cette manufacture sera forcée d’employer la vapeur pendant une huitaine.
On est allé chercher, hier à midi, une dame Lussier et son enfant, malades depuis quelques jours, et qui s’étaient réfugiés au second étage de leur logis, sans pain ni feu. On les a transportés à l’hôpital.
Un nommé Girouard, pour sauver sa vache, s’est jeté à l’eau jusqu’à la ceinture et est allé la chercher à son écurie. La bête et le propriétaire ont atteint la terre ferme sains et saufs. L’eau a baissé de quelques pieds depuis hier soir et une partie des rues St-Paul, Ste-Marguerite, St-Louis, Casimir, St-Michel et St-Pascal est transformée en véritable patinoir [en 1900, on dit un patinoir] où les enfants s’en donnent à cœur joie.
Les dommages sont considérables, attendu qu’en pareilles circonstances, par suite du séjour prolongé de l’eau dans les caves, les maisons sont rendues insalubres et presque inhabitables pendant plusieurs semaines.
Il en va de même dans la paroisse de Bécancourt, en face de Trois-Rivières, où la rivière a débordé.
Les dégâts causés par la débâcle de la rivière Bécancour, jusqu’à présent, consistent en caves, maisons et hangars inondés dans une grande partie du village, et en pertes de bois de commerce. Le pont de l’île Montesson est enlevé et les lignes télégraphique et téléphonique sont brisées en plusieurs endroits.
Hier, pendant l’espace d’une heure, l’eau a monté de plus de cinq pieds. Deux pêcheurs de Ste-Angèle de Laval étaient à visiter leurs filets à l’embouchure de la rivière Bécancour, lorsqu’ils furent surpris par la débâcle. Ils ont échappé à la mort par des efforts inouïs. Après avoir marché à travers les glaces et dans l’eau pendant une heure et demie, ils sont arrivés au village de Bécancourt où on leur a prodigué tous les soins nécessaires. Ce matin, ils sont bien portants, mais ne pourront retourner dans leurs familles que lorsque les communications seront rétablies.
Source de l’illustration montrant la rue Girouard à Saint-Hyacinthe vers 1920 : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Montréal, Fonds Laurette-Cotnoir-Capponi, cote P186, S9, P301.