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Sitôt venue, sitôt disparue

Nous connaissons tous le sort de la tourte, ce grand pigeon voyageur, une proie si peu farouche qu’elle est disparue à jamais. Lorsqu’au Québec, les tueries faisaient parfois figure de jeux d’enfants, on systématisait l’extermination aux États-Unis. J’en parle abondamment dans mon ouvrage Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent.

À la fin du 19e siècle, voilà que se présente un nouvel oiseau dans la région de Québec à la fin de l’automne, la Marmette de Brünnich, aussi appelée Guillemot de Brünnich (Brunnich Murre, Thisk-billed Murre, Uria lomvia).

Après la surprise de son arrivée vers 1895 sur la côte de Beaupré et l’île d’Orléans, les chasseurs exultent. On sort les fusils. Le 23 novembre 1901, par exemple, le journal L’Événement écrit : Les chasseurs s’en donnent à cœur joie depuis quelques semaines. Hier, M. Narcisse Morin, grand chasseur devant Dieu et devant les hommes, a abattu une trentaine de Marmettes dans l’espace d’une heure, prouvant qu’il sait manier le fusil à deux coups d’une manière très habile.

Cinq jours plus tard, le 28 novembre 1901, Le Soleil constate : Depuis quelques jours, les chasseurs de marmettes font d’excellentes journées. Hier, un M. Duval en a tué 97, en un après-midi, tandis que les autres chasseurs en ont aussi abattu une grande quantité. Les marmettes se vendent de 15 à 40 cts. Les peaux, dont la plume n’est pas endommagée, se vendent 10 à 20 cts. Les marmettes (espèces de pigeons) appelées ainsi par les chasseurs de la Côte Nord, n’avaient pas l’habitude de remonter le fleuve en aussi grande quantité.

Mais des lecteurs du Soleil s’élèvent contre ces tueries. Le 28 novembre 1902, l’un d’entre eux, qui se donne le nom d’Avenir, écrit au rédacteur du journal. Monsieur, voici la fin de l’automne et avec elle les massacres de marmettes qui vont commencer. N’y aurait-il pas moyen que la législature à sa prochaine session passerait une loi défendant sous peine d’amendes de tuer plus qu’un certain nombre de ces palmipèdes. Chaque année, vers la fin de novembre, voit recommencer ces massacres. Il y a des centaines de chasseurs, qui sur l’eau, qui sur la batture, attendent ces oiseaux; si la marmette n’est pas tuée sur l’eau, elle est certaine de l’être à terre. Il y a quelques années, nous ne voyions que très rarement cet oiseau sur notre fleuve; depuis 3 ou 4 ans, il y en a en masse, mais attendons encore une couple d’années et nous n’en aurons plus. Il est grand temps maintenant de commencer à les protéger, si nous voulons en garder pour l’avenir. En vous en occupant, monsieur, vous obligeriez. Avenir.

Les spécialistes ne s’expliquent pas la présence soudaine de cet oiseau à l’intérieur des terres et maintenant absent. En 1906, dans son ouvrage Les Oiseaux de la province de Québec, Charles-Eusèbe Dionne écrit : À l’automne de 1894, des centaines d’individus ont émigré vers le sud-ouest jusqu’aux environs de Québec et même beaucoup plus loin sur le fleuve; c’était de mémoire d’homme, la première fois qu’on voyait ces oiseaux devant la ville et en nombre aussi considérable. Au commencement de janvier, il n’y en avait plus un seul; ceux que les chasseurs n’ont pu tuer sont morts de faim et de froid; plusieurs ont été trouvés égarés dans les champs et dans la forêt, même à une distance de plusieurs lieux du fleuve. Depuis cette époque, nous avons presque chaque automne la visite de ces oiseaux, mais en bien moins grand nombre.

Quatorze ans plus tard, dans son livre Les Oiseaux de l’Est du Canada (Ottawa, Ministère des Mines, 1920), l’ornithologue P. A. Taverner écrit : Ces oiseaux sont parfois venus par centaines sur les lacs Ontario, Erié, et sur les eaux tributaires de ces lacs à la fin de l’automne et au commencement de l’hiver; ils étaient tous faméliques et aucun ne semblait devoir survivre ou retourner vers leurs demeures maritimes. Leur présence là est encore inexplicable.

Dans l’ouvrage Les Oiseaux nicheurs du Québec, Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional, sous la direction de Jean Gauthier et Yves Aubry (Montréal, 1995), Gilles Chapdeleine écrit que la Marmette de Brünnich vit dans la région circumpolaire. Du côté de l’Atlantique Nord, elle niche sur les îles dotées de hautes falaises, du nord de la baie de Baffin jusque dans le golfe du Saint-Laurent et au sud-est de Terre-Neuve. Dans le golfe, elle niche en grand nombre à un seul endroit, soit sur les rochers aux Oiseaux, près des Iles-de-la-Madeleine. En hiver, elle se nourrit en grande partie de poissons, surtout de capelans, et d’invertébrés. Selon Chapdeleine, on ignore l’état de la population de marmettes, car la plupart des colonies de l’Arctique ont été inventoriées peu souvent et de façon irrégulière.

Source de l’illustration, nous montrant la Marmette de Brünnich : http://www.futura-sciences.com/fr/definition/t/zoologie-2/d/guillemot-de-bruennich_9971/

3 commentaires Publier un commentaire
  1. Jeanne #

    Il n’y a de pire tristesse dans notre « humanitude » que l’avidité :-(

    Bonne journée monsieur

    Jeanne La Corneille

    1 décembre 2011
  2. Réjean Grimard #

    La tourte hier un vrai délice disaient les vieux

    3 décembre 2011
  3. Jean Provencher #

    Monsieur Grimard, merci beaucoup pour votre commentaire. Je m’intéresse beaucoup à l’histoire de la tourte, comme celle d’ailleurs de tous nos oiseaux, je me demandais si vous aviez une référence à ce sujet.

    4 décembre 2011

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