C’est ainsi que la chatte se peigne
Tiens, arrêtons-nous aujourd’hui au journal Le Soleil du 12 août 1908. Petites nouvelles.
Des méfaits d’abord dans les traversiers entre Québec et Lévis.
On sait que la compagnie de la traverse a aménagé coquettement, cette année, ses jolis petits traversiers et y a fait des installations coûteuses que le public voyageur a sincèrement appréciées et pour lesquelles la compagnie a reçu des félicitations méritées.
Eh bien, le croirait-on, on dirait que ces améliorations produisent sur certains individus l’effet d’une pièce d’étoffe rouge sur les coqs d’indes. Tous les jours presque, les employés de la compagnie constatent qu’on globe électrique a été enlevé ici, qu’on a brisé et enlevé ailleurs les appareils hygiéniques placés dans les chambres à toilette. Rien n’échappe aux vandales qui brisent tout pour le méchant plaisir uniquement de briser.
Et puis des voleurs de bois.
Plusieurs familles de Bienville, qui habitent sur le littoral du fleuve à Bienville constatent depuis quelques jours que le bois qu’ils ont retiré à grande peine du fleuve et sur lequel elles comptaient pour se chauffer pendant la rude saison, a été enlevé. Les coquins ont préparé des radeaux à la faveur de la nuit et ont enlevé de grandes quantités de bois ainsi péniblement recueilli.
Les soupçons se portent sur certains individus à qui les victimes du vol se proposent de faire payer cher leur malhonnêteté.
Des policiers zélés.
Depuis que le chef nouveau a pris charge de la constablerie lévisienne, les gardiens de la paix sont à cheval sur le devoir… quand on les voit. Les passagers, qui attendaient hier le départ de la voiture électrique de Saint-Romuald, sur l’avenue Laurier, en ont eu une preuve flagrante.
Deux innocentes fillettes, de 10 à 12 ans, en attendant le tramway, avec toute l’insouciance de leur âge, s’étaient assises sur les marches de pierre de l’hôtel des postes du coin. Les malheureuses — mais comment pouvaient-elles le savoir — comptaient sans les foudres municipales. Elles éclatèrent soudainement sous la forme d’un féroce gardien de la paix qui, arrivant au pas de course, leur cria d’une voix de stentor, en faisant tourner son bâton d’un air menaçant : Ôtez-vous de là, c’est pas un siège ça, c’est le perron du bureau de poste. Ça se voit, répondit mutinement l’une des fillettes, mais nous ne l’userons pas.
Mais le moulinet terrible continuait et les fillettes délogèrent sous les menaces, pendant que les témoins de cette scène haussaient les épaules. Le vaillant constable, qui venait d’accomplir cette action héroïque, ne devait pas être un privilégié — tant mieux, mon Dieu — car ils ne portaient pas l’un des six gourdins neufs que l’échevin Gosselin, pour ne pas être en reste avec l’échevin Lachance, a tourné dans un bois précieux et spécial pour la constablerie lévisienne.
Et voilà le temps des cerises à grappes.
Tous les jours, des familles complètes partent dès à bonne heure, le matin, sur de grandes voitures pour aller passer la journée en pique-nique dans les endroits les moins éloignés de la cité, et les enfants reviennent le soir, chargés de cerises à grappes, voire de bluets, qui sont très abondants cette saison. Ces bons parents entrevoient dans un avenir rapproché le jour où leurs enfants, garçons et filles, devront reprendre le chemin de l’école et du couvent. Les vacances seront bientôt finies.
Ainsi, va la vie. Les hommes de la traverse sont victimes de vandales, d’autres, de voleurs de bois, des fillettes, d’un policier zélé, puis des familles vivent le bonheur des pique-niques sur l’herbe et de la cueillette des petits fruits.
Après les petites nouvelles qu’il m’adressait, mon grand oncle Émery, fils d’Emmanuel, oncle de mon père, avait toujours l’habitude de finir ses lettres par cette expression : C’est ainsi que la chatte se peigne. Cher Émery.
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