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C’est le 14 juillet !

En 1900, les Français du Québec semblent fêter bien modestement le 14 juillet. Les journaux ne font guère état de réjouissances, du moins ceux que nous avons consultés. Sans doute les cousins célèbrent-ils entre eux et quelques amis québécois leur fête nationale. Le Soleil, du 14 juillet 1908, par exemple, mentionne simplement la tenue en soirée d’un banquet à la superbe résidence de M. Ls Bertin, pour les membres de l’Association amicale et fraternelle française, belge et suisse. Cela dit, en ce jour de fête française, pourquoi ne pas retourner à la venue de La Capricieuse en 1855 ? Un grand moment.

Il faut savoir qu’après la capitulation de Montréal en 1760, les Français doivent quitter le pays, sans plus jamais y revenir. Chez ceux d’ici qui parlent français, on évoquera, au fil du temps, de manière directe ou détournée, l’abandon de la mère-patrie.

Or, en 1853, près de cent ans plus tard, à la suite d’un conflit opposant la Turquie à la Russie du tsar Alexandre Il à propos de l’occupation des Lieux Saints, la flotte russe détruit la marine turque à Sinope, provoquant une alliance de la France et de l’Angleterre avec la Turquie et la Sardaigne contre la Russie. On entreprend une intervention militaire en Crimée. Cette guerre a des effets importants : une série de réformes sociales en Russie, la consolidation du Second Empire de Napoléon III et surtout les retrouvailles franco-britanniques qui conduisent à l’Entente cordiale. La reine Victoria se rend même à l’Exposition Universelle de Paris, en 1855, où elle sympathise avec Napoléon III. L’envoi d’un navire de la marine française au Canada est désormais autorisé, pour développer les relations commerciales et culturelles, et sceller la réconciliation franco-britannique.

Polytechnicien et brillant officier, le capitaine de vaisseau Paul-Henry de Belvèze est nommé le 8 janvier 1853, Commandant de la division navale de Terre- Neuve. Son séjour à Saint- Pierre et Miquelon le convainc alors de la nécessité d’établir des liens commerciaux avec le Canada. Il écrit: Il serait possible de combiner le service de la nation avec une excursion dans le fleuve dont le but serait de connaître les ressources, les besoins et la condition commerciale de ce grand pays. En 1855, le gouvernement impérial français prend la décision de rétablir des relations avec son ancienne colonie de langue française et de déléguer un bateau de guerre dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. L’opération est confiée au commandant de Belvèze.

La mission de de Belvèze est claire. Elle est purement commerciale, lui dit l’Empereur, sans pour autant oublier quelques aspects culturels et prospectifs. Le souvenir que la France a laissé dans son ancienne colonie et l’alliance actuelle des deux cabinets de Paris et de Londres me sont garants que vous recevrez un excellent accueil sur les rives du fleuve que vous allez parcourir.

Le commandant Paul-Henry de Belvèze se montre exigeant pour le choix du bâtiment chargé de représenter dignement la France et son Empereur. Au Gassendi d’abord pressenti, il va préférer la corvette dénommée La Capricieuse, considérée selon lui comme plus belle, plus adaptée aux eaux du Saint-Laurent. Construite à Toulon en 1849, elle mesure 140 pieds (43m) et possède une bonne tenue de mer. Son équipage comprend 240 hommes. La Capricieuse reçoit l’ordre d’appareiller du port de Brest pour Saint-Pierre-et-Miquelon où elle arrive le 18 juin. Quatre photographes sont sur le pont. Ils prendront les premières photos de Québec après les célèbres incendies qui avaient ravagé les faubourgs de la ville, quelques années plus tôt.

La corvette française commence sa tournée dans les provinces maritimes. Elle jette d’abord l’ancre à Halifax, le 24 mai 1855. Le 13 juillet 1855, remorqué par le vapeur Advance, le navire français arrive à Québec où l’écho, il va sans dire, est énorme. Une salve de 21 coups de canon tirée de la corvette, écrit le journaliste du Canadien dans l’édition du 16 juillet, lui fut aussitôt rendue par celui de la citadelle. À la nouvelle de cette arrivée, qu’annonçait à la population entière, le bruit de la détonation, la Plate-Forme [il s’agit de l’actuelle Terrasse Dufferin, mais moins longue] se remplit de spectateurs dont on vit en quelques moments des masses compactes encombrer, outre cette promenade, les quais et tous les points environnants qui ont vue sur le fleuve. Des hourras bruyants sortirent en même temps de toutes les bouches en signe de félicitation et d’accueil pour les nouveaux hôtes dont ils annonçaient la bienvenue. La ville de
 Québec est alors la capitale du Canada-Uni. Le docteur Joseph Morin, maire de Québec, attend le bateau. Il monte à bord avec quelques personnalités. Les marins sont l’objet de réjouissances ponctuées par de nombreux discours et de libations.

Le lendemain, 14 juillet, a lieu, à terre, un grand banquet. Dans sa réponse aux discours de bienvenue, de Belvèze déclare: Absente depuis un siècle du fleuve Saint-Laurent, la marine française y revient pour renouer des relations commerciales longtemps interrompues, faire profiter notre pays des progrès immenses de votre agriculture et de votre industrie, ouvrir à nos armateurs et aux produits du travail français une voie qui fut longtemps fermée à nos vaisseaux.

Le commandant et quelques officiers se rendent ensuite au Parlement [là où se trouve aujourd’hui le parc Montmorency]. Des pavillons aux couleurs de France et d’Angleterre ornent les devants de plusieurs maisons sur les rues où chemine le cortège.

Peintres, musiciens, poètes et journalistes rendront compte de l’événement. Octave Crémazie compose un de ses poèmes les plus célèbres, Le vieux soldat canadien, publié dans le Journal de Québec le 21 août 1855, avec un Envoi aux marins de La Capricieuse se terminant par ce vers célèbre: Albion notre foi, la France notre cœur. Un jour, je vous le promets, je vous donnerai à lire ce poème de Crémazie, et son envoi. Et oui oui, nommés en son honneur, il s’agit bien de la rue Crémazie à Québec et du boulevard Crémazie à Montréal. Antoine Plamondon, lui, peindra plus tard son neveu, Siméon Alarie, jouant de la flûte devant le Saint-Laurent où apparaît au loin le célèbre bateau. Un tableau appartenant maintenant au Musée des beaux-arts du Québec. Vraiment, on chantera la venue de La Capricieuse.

La visite se poursuit en juillet et août, avec un autre bateau plus petit, L’Admiral mis à la disposition de de Belvèze, pour aller à Trois-Rivières et à Montréal, le Saint-Laurent n’étant pas encore complètement navigable pour les transatlantiques en raison de leur tirant d’eau, en particulier dans le lac Saint-Pierre. À Montréal, le vendredi 27 juillet, le maire Wolfred Nelson, un Patriote de 1837-1838, accueille aussi les visiteurs: les cloches sonnent à toutes volées. Des milliers de personnes se sont déplacées.

La Capricieuse repart définitivement de Québec le 25 août 1855.

Sur Paul-Henry de Belvèze (1801-1875), voir le texte à son sujet dans le Dictionnaire biographique du Canada (Québec, Presses de l’Université Laval. 1972, p. 51s.), rédigé par Armand Yon.

La photographie ci-haut montre la maison de l’Association Québec-France, à Place-Royale, à Québec.

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