La fanfare de clowns du Forepaugh et Sells
En 1900, l’heure est aux fanfares, l’heure est aux cuivres. Dans mes recherches sur 1900, je retrouve des fanfares à Montréal et à Québec, bien sûr, mais également à Berthier, Joliette, Lévis, Mont Saint-Hilaire, Saint-Jérôme, Sherbrooke, Sorel et Trois-Rivières. Sans doute arriverai-je à en trouver d’autres. Plus souvent qu’autrement, ces fanfares se composent de musiciens bénévoles, qui organisent des concerts pour payer les instruments.
Aux États-Unis, les grandes fanfares dirigées par John Philip Sousa (1854-1932) sont sans doute les plus populaires. Né à Washington, ce chef d’orchestre, connu en son temps comme le roi de la marche, compose de nombreuses et célèbres marches militaires, dont la Stars and Stripes Forever.
Or, voici qu’en juin 1899, s’amène à Montréal le cirque Forepaugh et Sells. Sa propre fanfare l’accompagne, une fanfare de clowns qui prend plaisir à se moquer du célèbre Sousa. Le 15 juin, dans un style simple et alerte, le journaliste de La Patrie décrit ce qui attend le public qui assistera durant deux jours aux représentations du cirque.
L’un des numéros les plus amusants du cirque combiné d’Adam Forepaugh Sells Frères, qui doit venir à Montréal lundi et mardi prochain, est la fanfare de clowns. C’est une imitation si comique du célèbre chef de fanfare John Philip Sousa et de ses remarquables manières qu’elle ne manque jamais de faire rire l’auditoire aux larmes. Et personne ne jouit de cette farce plus que M. Sousa lui-même. Il a assisté à une représentation pendant son engagement au Madison Square Garden, de New-York, et il a ri de grand cœur des farces des joyeux fils de Mamus.
L’homme qui a imité le grand chef de fanfare est un cornettiste de premier ordre, surtout sur les triples coups de langue, et M. Sousa l’a félicité de son habileté. Quand la fanfare de clowns fait son entrée, on reconnaît immédiatement Sousa. La fanfare joue d’abord l’une des marches les plus célèbres de M. Sousa, mais avec une telle série de stridents désaccords qu’elle provoque des éclats de rire. Le clown qui imite Sousa est parfait quant aux favoris, à la barbe, au costume, etc. Il porte une casquette, un paletot militaire bleu et un pantalon de coutil blanc, précisément comme M. Sousa. Il marche cependant d’une façon exagérée et ses manières, quand il joue des solos, sont extrêmement ridicules.
Au premier son criard qu’il tire de son cornet, la fanfare prend toutes sortes d’attitudes grotesques, après avoir formé cercle sur la scène. Au second coup de cornet, plus perçant que le premier, la fanfare tombe à terre, mais elle se relève à l’instant et le suit dans l’exécution fantaisiste d’une marche très accélérée.
Alors, un des artistes se grime en tramp, marche comme un tragédien d’opéra comique sur le devant de la scène et joue Say au revoir, but not Farewell, dans un trombone à la Arthur Pryor. À la dernière note, il titube et tombe sur la scène, sur un sac placé pour le recevoir.
Immédiatement après, la fanfare s’assemble de nouveau et joue vigoureusement, mais d’une manière aussi discordante qu’avant. L’effet est excessivement amusant, la chose étant faite en apparence avec un grand sérieux.
M. Sousa s’est beaucoup amusé de cette plaisanterie de bon alois, l’imitation était si bien faite et si amusante qu’il ne put s’empêcher de louer les clowns en disant : C’est très bien. Ils connaissent leur affaire.
À noter que, dans ce texte, le journaliste fait allusion à Arthur Pryor, un virtuose, tromboniste soliste dans la fanfare de Sousa. Il commence à jouer pour Sousa en 1892 à l’âge de 22 ans. Et on croit que, durant 12 ans avec le chef d’orchestre, il exécuta 10 000 solos de trombone. La présence de Pryor ajoutait au renom de Sousa.
Source de la photo: http://www.flickr.com/photos/43031309@N02/4589389318/sizes/l/in/photostream/
C’est un texte très intéressant sur l’histoire du cirque. Comme quoi même les concurrents peuvent s’entendre, pas la peine de se tirer dans les pattes. Mais il est aussi vrai que ce n’est pas la même époque … Ce qui est bien dommage d’ailleurs.
Merci, chère Laura. En effet, il semblait y avoir une fort belle entente entre tous ces gens, si divers étaient-ils.