Il faut se nettoyer, les amis !
Lorsque nous avons gagné la ville au 19e siècle, cette ville que nous connaissons aujourd’hui, nous ne disposions pas d’un petit manuel d’instruction, nous prévenant de prendre en compte tel ou tel problème nouveau qu’il nous faudrait affronter, nous ruraux.
Ainsi, brûle-t-on à la campagne, que nous sommes habituellement seul à passer au feu. Mais, brûle-t-on à la ville, que tous les voisins risquent d’y passer aussi. Il nous a donc fallu apprendre sur le tas, à mesure que chaque nouveau défi se posait. Des quartiers entiers de nos villes, par exemple, ont brûlé, ce qui nous ont poussés à imaginer la formation d’escadrons de pompiers et la construction de casernes, la pose de systèmes d’alarme dans les rues et la mise en place d’un aqueduc, des besoins inexistants à la campagne. Crier Au Feu ! ne suffisait pas, bien sûr.
La véritable histoire de la ville reste à faire.
En 1900, nous avons l’hygiène à l’œil. À Montréal et à Québec, déjà, à la fin du 19e siècle, on crée un petit service municipal d’hygiène, avec à sa tête un médecin. Il faut se nettoyer, les amis, nous habitons encore un milieu souvent sale.
Les cours des résidences, milieu exigu s’il en est, mettent du temps à se toiletter. C’est bien ce que constate le journal Le Soleil, de Québec, le 7 juin 1902. La ville est dans un état d’hygiène excellent. Cependant, on nous fait remarquer qu’il y a encore certaines personnes qui retardent à faire nettoyer leurs cours, leurs caves ou hangars. Si l’on veut garder notre ville dans un état sanitaire, il faut que chacun y mette du sien. Il y a encore des cours, en certains endroits, qui sont loin d’être propres. Les autorités sont bien décidées à sévir contre les récalcitrants.
Cette image, mise en lien avec les commentaires ci-bas, montre l’incendie du faubourg Saint-Jean, vu vers l’ouest, une huile du peintre Joseph Légaré (1795-1855). Source de cette image : Musée national des beaux-arts du Québec, 58 470.
Cher ami, pourriez-vous m’apprendre quel système d’égout désservait la ville à l’époque de la Nouvelle-France ?
De plus, nos ancêtres ont-ils connu de grandes épidémies de peste ?
Merci
Chère Éli, si je m’en réfère à l’ouvrage de l’historien André Lachance (La vie urbaine en Nouvelle-France, Boréal, 1987), la malpropreté est générale alors dans nos petites villes, tout comme dans les villes européennes de l’époque. Et il n’y a pas de système d’égouts. Nos archéologues ont bien trouvé à l’occasion des sections de tuyaux dans le sol, mais rien qui tienne d’un réseau, d’un véritable système pour l’ensemble de la population.
Dans son livre, Lachance consacre dix pages à l’hygiène publique et le constat qu’il fait nous laisse croire que nous n’avons pas encore pris conscience que nous vivions à la ville, et non plus à la campagne. Malgré les nombreux règlements de police, les voies publiques sont de véritables égouts à ciel ouvert. Seuls les plus riches, par exemple, possèdent des latrines, les autres se contentant de pots de chambre ou de seaux qu’ils vident par la fenêtre dans la rue. Et c’est sans compter le fumier des animaux qui vivent avec nous, porcs, poules, vaches et chevaux. L’historien nous dit que, souvent, ces ordures humaines et animales flottent dans la rigole, au milieu de la rue, et stagnent, la voie publique n’ayant pas l’inclinaison voulue pour les faire s’écouler. Vous voyez ça ?
Cela dit, nous avons vécu un grand nombre d’épidémies, en particulier de variole et de typhus, qui ont fait, c’est certain, des milliers de morts. Mais jamais, à ma connaissance, n’a-t-on évoqué de grandes pestes du genre de celles qui furent vécues en Europe au Moyen Âge.
C’est très intéressant ! Merci !
Bien intéressant, oui. Et je trouve la photo très belle. Elle est de vous?
Ça m’a rappelé un chapitre de je ne me souviens plus quel livre d’Hugo qui était un vibrant éloge à l’ingénieur qui avait passé sa vie à refaire le système d’égout de la ville de Paris. Avant ce héros inconnu, les égouts étaient totalement anarchiques et inefficaces. Victor Hugo dit, et ça me paraît bien juste, que cet homme de l’ombre a sauvé bien plus de vie que bien des héros des livres d’histoire. C’est à ce genre d’humains que j’élèverais des monuments!
Cette photo est de moi, cher Victor, merci beaucoup.
Pour cet ingénieur parisien, qui a permis de sauver tellement de vies, je suis tout à fait d’accord. C’est bien souvent ce type de personnages qui mériteraient vraiment de passer à l’histoire, au moins grâce à un monument. Ne serait-ce, d’abord, pour sensibiliser les populations qui vivent en ces lieux aujourd’hui.
Et puis un mot encore, Victor. Pour l’instant, mon lit m’appelle. Mais je vous reviendrai sous peu sur les débuts de l’aqueduc à Québec. Là aussi, une bien belle histoire.
Voici, Victor, les débuts de l’aqueduc à Québec. Au début des années 1840, un règlement municipal oblige les citoyens à garder à la maison quatre seaux de cuir et un bélier contre les incendies. Les seaux doivent servir à faire la chaîne depuis le cours d’eau le plus près jusqu’au lieu de l’incendie. Le bélier, lui, servirait aux pompiers pour enfoncer des portes ou tenter d’abattre des murs.
Mais les citoyens n’ont aucun intérêt pour les seaux de cuir ou les béliers. À Place-Royale, par exemple, aucune des 73 demeures visitées entre 1820 et 1859 ne possède de bélier et seule la famille du riche John William Woolsey dispose de trois seaux à feu en cuir. Imaginons alors que dans les quartiers aux conditions plus modestes, on ne montre pas non plus d’intérêt pour les seaux de cuir ou les béliers.
Et soudain, le feu frappe. Le 28 mai 1845, presque tout le faubourg Saint-Roch brûle. Bilan : 50 morts, 1 630 maisons rasées, plus de 3 000 boutiques et hangars, et 1 200 familles sans abri. Le journaliste du Canadien écrit le lendemain que Saint-Roch était devenu une mer impétueuse de feu. Un mois plus tard, précisément, le 28 juin 1845, le faubourg Saint-Jean y passe à son tour. Bilan : 1 200 immeubles rasés, 9 000 personnes jetées à la rue.
Que faire ? Il faut vraiment maintenant imaginer un aqueduc à Québec, à la fois pour des questions d’hygiène et de préservation contre le feu. Et la Ville s’informe à Boston, qui lui conseille justement la mise en place d’un aqueduc. Pourquoi ne pas recourir, d’ailleurs, aux services de l’ingénieur George Rumford Baldwin (1798-1888), une sommité, un as en ce domaine, qui avait travaillé à l’aqueduc de Boston et avait dirigé, à Québec même, l’installation du système d’éclairage des rues au gaz ?
Voir cette page en langue anglaise sur ce précieux ingénieur : http://en.wikipedia.org/wiki/George_Rumford_Baldwin
Baldwin s’amène. Après études sur les deux sources possibles d’approvisionnement et leurs débits, il conseille le bassin du lac Saint-Charles, plutôt que celui de la rivière Montmorency. Tout en haut de Québec, le lac est alimenté par trois rivières : la Huron, la Jaune et la Grand-Désert. Et, génial, il nous dit que ce lac prend place à 425 pieds au-dessus du niveau de la mer, alors que le point le plus haut à desservir à Québec, là où se trouve aujourd’hui l’église Saint-Cœur-de-Marie, sur la Grande-Allée, est à 200 pieds plus bas. Installez une conduite depuis le lac Saint-Charles, conseille-t-il, vous aurez de l’eau en abondance. Et, au surplus, par simple gravité.
Ce grand chantier, la mise en place d’un aqueduc et d’un réseau d’égouts, dure deux ans, en 1852 et 1853. Coût de l’opération: 1 200 000 dollars. Le budget de la Ville, c’est certain, s’en trouvera grevé pour 50 ans, mais il était impossible de faire autrement, la dépense devenue tout à fait nécessaire. Au fil du temps, en 1885, 1915 et 1953, on ajoutera trois conduites supplémentaires.
Aujourd’hui, plus de 300 000 personnes s’abreuvent à l’aqueduc de Baldwin. Toujours par gravité. Il suffit d’ouvrir le robinet pour que l’eau jaillisse. Un chef-d’œuvre que cet aqueduc !
Très belle histoire, en effet. Il a son monument, ce monsieur Baldwin? C’est lui qui a conçu aussi le réservoir sous les plaines d’Abraham?
Je me souviens d’avoir vu des photos du chantier de l’aqueduc. C’est possible? J’aimerais bien savoir sous quelles rues il passe…
Tout bien vérifié, cher Victor, Baldwin ne possède ni monument, ni plaque commémorative à Québec.
Le réservoir sous les Plaines d’Abraham n’est pas de lui. Durant les années 1930, au moment de la grande crise économique, le chômage était affolant un peu partout. Et les gouvernements ont imaginé des travaux publics pour donner de l’ouvrage aux ouvriers. La construction du réservoir sous les Plaines en fut un. Pendant plusieurs mois, 1 200 hommes ont travaillé au pic, à la pelle et au tombereau pour creuser un immense trou, qui deviendrait le lieu de ce réservoir. Peu de gens savent qu’il contient 135 millions de litres d’eau.
À Québec, l’aqueduc emprunte bien sûr la rue de l’Aqueduc et monte à la haute-ville par la côte de l’Aqueduc.
Un mot pour vous dire, cher Victor, que le rapport de George Rumford Baldwin est accessible au public au Service des archives de la ville de Québec, au quatrième étage de la Bibliothèque Gabrielle-Roy, dans le faubourg Saint-Roch, à Québec bien sûr. Il a pour titre Report on Supplying the City of Quebec with Pure Water. Publié en 1848, il compte 92 pages, ainsi que cinq feuillets dépliables (quatres plans et un tableau de données).