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La puissance de la végétation

Le chemin du Portage, dans le Témiscouata, qui va des rives du fleuve Saint-Laurent jusqu’à la frontière du Nouveau-Brunswick, est l’une des plus anciennes routes du Québec. Avant même la venue des Européens, les Amérindiens l’empruntent. Sous le Régime anglais, après 1760, c’est par là que transite le courier entre les colonies des Maritimes et Québec. Au 19e siècle, on songe toutefois à abandonner cette route, car, faute de colons y habitant tout au long, le chemin se referme constamment après quelques années et, à chaque fois, des équipes de cantonniers doivent s’y rendre le réouvrir.

La forêt québécoise est puissante. Les températures élevées de l’été et les précipitations abondantes rendent la nature généreuse, favorisent la pousse des arbres, mais font le malheur des ouvreurs de chemins. En effet, une nouvelle route percée en forêt se referme en quelques années sans colons pour l’entretenir. Comparaissant en 1828 devant le Comité spécial sur les chemins au Bas-Canada, William Henderson, qui travaille à développer de nouveaux établissements dans les cantons au sud du fleuve Saint-Laurent, prévient les membres du comité. «Si les chemins sont ouverts plus rapidement que les établissements, avertit-il, ils seront sujets à se remplir de jeunes arbres et de mauvaises herbes.» Mais tous les types de sol ne réagissent pas de la même manière à la repousse des arbres. Ainsi la végétation reprend plus rapidement sa place dans les terres argileuses que les sablonneuses, surtout si le terrain est mouilleux.

Parmi les essences pionnières, il y a d’abord le framboisier (Rubus idaeus), déjà abondant le long des routes en forêt. Cette plante vivace, qui ne mesure qu’un mètre à un mètre et demi de haut, si elle égratigne de ses épines les pattes des chevaux, ne nuit pas cependant au passage des voitures dans un chemin de colonisation. Les véritables «nuisances» qui, après quelques années, empêchent même, dans certaines régions, de reconnaître l’emplacement d’une route précédemment ouverte, sont plutôt l’aulne, le merisier et le hart rouge.

L’aulne (Alnus rugosa), généralisé au Québec et particulièrement abondant le long des cours d’eau, peut atteindre en cinq ans jusqu’à six mètres de hauteur. Les chatons de cet arbre sont l’un des premiers signes de la venue du printemps. Le merisier (Prunus pensylvanica), aussi répandu que l’aulne, pousse rapidement là où on a remué la terre, car les noyaux, disséminés par les oiseaux et présents dans le sol en grande abondance, parfois depuis plus de 100 ans, se mettent à germer. L’arbre se reproduit donc alors spontanément, drageonne et forme des taillis. Enfin, le hart rouge (Cornus stolonifera), un simple arbuste qui peut tout de même toucher deux mètres de hauteur, occupe lui aussi la place en se propageant au moyen de stolons. Et il suffit qu’on coupe l’une de ces tiges pour que la plante en produise davantage. Avec ces essences pionnières, il n’en faut pas plus pour qu’un chemin laissé à lui-même se referme en peu d’années.

Plus tard, à la longue, surtout dans les milieux humides, apparaîtra le cèdre (Thuya occidentalis). Les résineux, eux, beaucoup plus lents à croître, ne sont jamais ceux qui d’abord ferment le chemin; ils seraient plutôt le constat que la route où ils ont poussé fut abandonnée il y a bien longtemps.

 

3 commentaires Publier un commentaire
  1. John Willis #

    Bonjour Jean,

    Trés belle initiative que cette platforme électronique. En rapport avec le chemin du Témiscouata, mentionné dans ton blogue du 26 mai, j’ai pu consulter, en version originale, deux cartes préparée en 1784 par James Peachey, Ingénieur dans le 60e régiment. L’une commente l’éventuel tracé d’un chemin entre la Baie de Fundy et la rive du Saint-Laurent, près de Rivière-du-Loup. Ceci en vue de faciliter les communications entre la vallée du Saint-Laurent et la métropole britannique au cours de l’intteruption hivernale de la navigation dans le Fleuve. Les Français connaissaient et s’en servaient de ce portage, commes les Amériendiens avant eux. Peachey est chargé de faire rapport en ce qui a trait au potentiel du territoire; ce qu’il fait avec les yeux tout britanniques de l’époque. Les amérindiens à Petit Sault (Edmunston) n’auraient pas amélioré l’endroit et subsistent entièrement d’un régime constitué de poission et la viande d’original; les deux versants du Lac Témiscouata serait très propice pour la culture du blé (culture fétiche pour l’agriculture de l’époque); aux sources de la rivière Jacques on trouvera, selon les Amérindiens du bon minerai: cuivre, fer, plomb. La (seconde) version détaille le trajet rive du Saint Laurent au confluence des rivières Saint-Jean et Madawaska. Elle comporte nombre de détails, comme si on arpentait le pays avec l’ingénieur. Tel endroit est propice pour produire du bon foin (on prévoit y installer un relais de poste); tel autre à tel type de couvert végétal; là la pente est abrupte; à l’endroit surnommé le Ruisseau des Roches, la surface est faite de pierres concassée, la terre étant rare . On trouve des sapins à chaque extrémité du Lac Témiscouata (Il est possible qu’on aurait converti quelques grands spécimens en lieu de fête ou marqueur de route comme le faisait les voyageurs?). Peachey teste des distances, cela lui prend 5 heures et 50 minutes pour descendre la Madawaska, entre Dégelis et Petit Sault, 6 heures 8 minutes pour le remonter. Décidemment il mesure temps et distance. Il s’investit ainsi dans le territoire. Mais si je te comprends bien, la nature prend le dessus de l’Homme sur l’ancienne route du Portage. C’est donc avantage pour la nature, en ce coin de pays, en ce moment.

    – John Willis
    (Musée canadien des civilisations)

    30 mai 2011
  2. Jean Provencher #

    Merci beaucoup, cher John, de ce commentaire si fouillé. Ça aide drôlement à la connaissance de l’histoire de ce lieu.

    30 mai 2011

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