La naissance du premier épouvantail
Au début des années 1980, après la lecture de mon nouvel ouvrage, C’était le printemps, publié en collaboration avec Johanne Blanchet, la directrice de la Revue des Fermières, Pierrette Walsh, me demande un court article. Pourquoi ne pas alors imaginer, sous la forme d’un petit conte naïf, la naissance du premier épouvantail ?
Un jour,
il y a de cela très longtemps,
l’homme
qui ne vivait auparavant que de pêche, de chasse et de cueillette,
entreprit de cultiver la terre.
C’était un brave petit fermier qui en avait eu l’idée.
À l’orée du bois,
du coin de l’œil,
les oiseaux le surveillaient.
Ignorant tout du malheur qui l’attendait,
le brave petit fermier
répandait ça et là à la volée
les minuscules grains de blé.
Sitôt son travail terminé,
il regagna sa demeure,
heureux de savoir qu’il en serait récompensé.
Mais en moins de temps qu’il n’en faut à un petit fermier pour se reposer,
les oiseaux fondirent sur le champ
et avalèrent toutes les graines,
les unes après les autres.
Pauvre petit fermier!
Quelle ne fut pas sa déconvenue!
Il savait bien qu’il devait compter avec le froid, le vent et la pluie,
mais il ignorait tout des oiseaux.
Alors il sema à nouveau
et, rusé, s’embusqua dans les buissons
plutôt que de regagner sa maison.
Les oiseaux haut perchés
qui n’avaient rien vu du manège,
n’en croyaient pas leurs yeux.
Une nouvelle table si vite garnie!
N’écoutant que leur appétit,
ils s’abattirent à nouveau sur le champ.
Le repas cependant fut de courte durée,
car le brave petit fermier,
tel un guignol d’une boîte à surprises,
sortit du taillis
avec moult gestes et forces cris.
Les oiseaux eurent la peur de leur vie
et regagnèrent aussitôt les cimes.
Mais le brave petit fermier était perplexe.
Il avait beau continuer à gesticuler,
à les abreuver d’injures,
à leur souhaiter la foudre;
les oiseaux si haut perchés
n’en étaient guère affectés.
Alors il pensa à la tactique des cent pas
et décida de l’employer,
bien résolu à ne pas s’en laisser imposer.
Et il marchait,
marchait,
Et tout au long de sa marche
il gardait les oiseaux à l’œil,
prêt à contre-attaquer à leur moindre mouvement.
Mais ceux-ci demeuraient immobiles,
presqu’indifférents.
On aurait dit qu’ils attendaient qu’il parte.
Le petit fermier sentait bien
qu’il tenait là la solution à ses malheurs.
Et il marcha ainsi son champ jusqu’au soir.
La nuit venue,
il regagna sa maison,
fier de sa journée,
un brin songeur cependant.
Lui faudrait-il maintenant tout le jour veiller aux grains?
Il n’aurait alors plus de temps
pour la pêche, la chasse et la cueillette!
Malin, il entreprit de jouer un bon tour aux oiseaux.
Un personnage de paille,
à son image,
assurerait la vigile,
pendant qu’il irait à la pêche.
Ainsi est né le premier épouvantail.
Depuis ce temps,
courent par tous les champs du monde
des personnages de paille
qui assurent la vigile
pendant que l’homme va à la pêche.
Ce texte fut alors publié sous le titre La naissance du premier épouvantail, dans la Revue des Fermières, vol. 8, no. 4 (juin/juillet 1982), p. 8s.
L’épouvantail ci-haut est une œuvre du sculpteur Jean-Claude Labrecque, de Vallée-Jonction.
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