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«Vieux chants» (seconde partie)

Peut-être sans trop le savoir, avec son article «Vieux chants», le chroniqueur A. Beauchamp nous propose, dans le quotidien La Patrie du 4 mars 1893, ce qui est une contribution à une histoire de la chanson québécoise. Après la première partie mise en ligne hier, voici la deuxième et dernière partie.

Presque chaque paroisse (je parle d’en bas de Québec) avait ses cantomanes ou ses faiseurs et faiseuses de chansons. Quelques-uns et quelques-unes aussi accouchaient de leurs productions poétiques avec difficultés et lentement; d’autres se faisaient un jeu de mettre au monde une vingtaine de couplets d’une chanson où les cuirs et les velours se coudoyaient à chaque ligne.

Je n’avais que six ou sept ans. À cette époque reculée, nous avions pour engagère une fille de Saint-Féréol, dans le comté de Montmorency [dans son enfance, le chroniqueur Beauchamp habite Château-Richer, sur la Côte-de-Beaupré]. Pour elle, Saint-Féréol n’était autre que Saint-Friol, tout comme San Francisco est, pour plusieurs Californiens, Frisco tout court.

Cette pauvre campagnarde avait, comme maladie à l’état chronique, la cantomanie. La chanson qui suit est une de ses compositions : elle lui causa trois semaines de travail difficile et douloureux, à un tel point qu’elle en mourut peu de temps après. Les médecins consultés déclarèrent qu’elle était atteinte d’une maladie qui ne pardonne pas : la fièvre poétique. Quoiqu’il en soit de cette opinion des savants médecins, voici cette chanson, qui fut le chant du cygne de Vénérande C…, de Saint-Friol.

1.
C’est dans Saint-Friol,
Dans ce nouveau quarquier,
Y a-t-un’ joli’ fille
Qu’est bonne à marier :
C’est mam’selle Domitille,
Si vous la connaissez
Ah ! Prudent va la voir,
C’est pour la demander.

2.
Tout doux ! tout doux Prudent,
Mais n’t’y trompe pas;
Domitill! est brunette,
Mais tu l’auras pas.
Il y lan a-t-un autre
Dans ses amiquiés
Ah ! qui te coupe l’herbe
L’herbe dessous le pied.

3.
En disant ces paroles
Le beau galant s’entra,
S’arrêta s’assit auprès d’elle
Et pis la saluya (salua),
En lui disant : — La belle,
Ne souviens-tu pas
Des promess’ tu m’as faites,
Les souquindras tu pas.

4.
Si j’tai fait des promess’
Je te le souquiendrai
S’au péril de ma vie
Ou je t’épous’serai :
Il n’y a que mon père
Qui n’s’en souci’ pas,
Mais ma bonne mère
A vous arrangé ça.

Convenons qu’il était difficile de vivre après avoir mis au monde un chef-d’œuvre de ce genre.

* * *

Une autre engagère nous chantait le noël que je vais reproduire pour les générations futures. Quand cette autre paysanne nous fredonnait ce chant, nous étions comme les auditeurs du père Énée :

Contienere omnes intentique ora tenebant.

Voici ce cantique inédit :

1.
— Ah ! qu’as-tu vu, berger, ah ! qu’as-tu vu ?
— J’ai vu dans une crèche,
Un joli p’tit enfant,
Couché sur la paille fraîche,
La nuit en dormant.

2.
— Était-il beau, berger, était-il beau ?
— Il était aussi beau
Que la lune et le soleil,
A-t-on vu aussi le ciel,
A-t-on vu son pareil ?

3.
— Dis donc encor, berger, ah ! qu’as-tu vu ?
— J’ai vu le bœuf et l’âne
Qui soufflaient fortement
Par leurs grandes narines,
Pour réchauffer l’enfant.

4.
— Raconte encore, berger, ah ? qu’as-tu vu ?
— J’ai vu la sainte Mère
Qui chantait doucement
Avec Joseph le père,
Pour endormir l’enfant.

Il y avait plusieurs autres strophes dont je ne puis me ressouvenir.

A. B.

 

L’image coiffant cet article provient de La Bonne Chanson, dix albums qu’on appelait Cahiers, parus de 1938 à 1951, du musicologue Charles-Émile Gadbois (1906-1981). Elle apparaît dans la série de manuels Chantons la bonne chanson à l’école, 1957, Chants scolaires, Cours primaire, Première année, faisant partie du programme officiel du cours primaire, manuels approuvés par le Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique.

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