Skip to content

Une maison hantée en pays acadien (second de deux épisodes)

Hier, nous fréquentions une maison hantée à Port-Royal, en Acadie. De bien étranges événements se passaient dans l’une des chambres, le 4 de chaque mois. Pour retrouver le fil, si vous n’êtes pas entré avec nous dans cette demeure, il vous faudrait d’abord relire sur ce site l’article d’hier extrait de La Patrie du 10 février 1888.

Il y a environ cent cinquante ans, vivait à Honfleur, en France, un marchand de vin et de pain qui avait une bien jolie fille. Sa figure était d’une grande beauté, ses yeux bleus, sa chevelure grosse et châtaigne, son teint rose. Elle avait dix-huit ans quand Jean Paradis, l’homme de confiance de son père, ayant trouvé le chemin de son cœur, eut la promesse de sa main; il était fier de sa conquête.

Parmi les militaires stationnés dans la ville, se trouvait un brillant jeune officier qui visitait souvent l’établissement du marchand; dans une de ses visites, il y rencontra la belle Madeline — c’était le nom de la jeune fille — et il en devint fort amoureux. Il se fit inviter par la famille, et, après quelques visites, il fit une déclaration d’amour à la jeune fille, lui offrit son cœur, sa main et sa fortune. Bien que Jean ne fût ni riche ni distingué, Madeline l’aimait passionnément. L’officier apprit bientôt la vérité, et il s’éloigna la rage dans le cœur. Elle lui avait avoué ses préférences pour Jean, et cela l’avait blessé dans on orgueil. L’idée qu’on lui préférait un commis le choquait. Peu après son entrevue avec Madeline, l’officier fut envoyé en Acadie avec son régiment et fut stationné à Port-Royal, aujourd’hui Annapolis. À cette époque, la France et l’Angleterre se disputaient la suprématie dans cette partie de l’Amérique du Nord.

Madeline et Jean se marièrent peu après, et ils vivaient heureux quand un jour le sort désigna Jean pour l’armée. Il devint soldat dans la garnison où était l’officier, son rival. Jean ne savait absolument rien de l’amour de l’officier pour sa femme, mais celui-ci reconnut Jean, et son ancien amour se réveilla en pensant à la femme. Cet amour devint une véritable passion et il détestait Jean de toutes ses forces. Un soir, en méditant son triste sort, l’officier résolut que s’il ne pouvait posséder celle qu’il aimait, nul autre ne la possèderait; alors il lui vint l’idée de mettre un terme à l’existence de Jean, afin que, à son retour en France, il pût gagner l’affection de la veuve de celui qu’il avait assassiné.

Un après-midi, Jean fut envoyé de sentinelle [sic] à un poste dangereux, car le pays fourmillait de Sauvages hostiles, et c’était à un nouveau poste qu’on envoyait Jean. Quand une autre sentinelle s’en fut relever Jean, on le trouva mort décapité, un tomahawk à quelques pas de son cadavre. Son corps fut porté au fort et enterré, et le commandant écrivit à la jeune veuve que son mari avait été tué par les Sauvages; il lui exprimait la douleur et la sympathie qu’il éprouvait pour elle dans son malheur.

Pauvre Madeline eut le cœur brisé quand elle reçut la triste nouvelle, mais elle se résigna au veuvage. Deux années plus tard, l’officier retournait en France et cherchait Madeline. Il la trouva aussi belle que jamais sous ses vêtements de deuil. Le colonel visita souvent la maison de Madeline, et, un bon soir, il renouvela sa demande en mariage, que Madeline finit enfin par accepter. Après leur mariage, ils passèrent à Port-Royal et vinrent loger dans l’habitation, qui est aujourd’hui la seule maison française qui reste dans cette région.

Ici, Madeleine prit en amitié une vieille Sauvagesse qui visitait le fort pour vendre du gibier. Elle conversait souvent avec la «femme des bois» et lui répétait l’histoire de la mort de son premier mari. Bien qu’elle fut la femme d’un autre, elle conservait vivace au fond de son cœur la mémoire de son défunt Jean.

Un jour, un messager se présenta à elle en lui disant que la vieille Sauvagesse se mourait et voulait la voir. Arrivée au wigwam, la moribonde l’attire à son chevet et lui fait une confidence qui remplit Madeleine d’horreur. Le jour de la mort du jeune soldat — l’époux de Madeline — elle était dans le bois cueillant des herbes et des racines. Un officier passa près d’elle sans la remarquer. Son air aussi bien que sa marche éveillèrent ses soupçons et elle le suivit. Elle le vit s’approcher de la sentinelle par derrière, lui donner un violent coup de tomahawk sur le chignon et le soldat tomba sans vie sur le sol. Deux ou trois autres coups lui séparèrent la tête du tronc; l’officier jeta son arme à côté du cadavre et s’éloigna.

Cet officier n’était autre que le mari actuel de Madeline. Jusqu’alors, la vieille avait craint de révéler le crime et les membres de sa tribu avaient injustement porté la responsabilité du meurtre. Mais sur son lit de mort, elle se sentait obligée de parler.

Le cœur brisé, Madeline s’éloigna en toute hâte du wigwam. Son premier amour se réveilla plus fort que jamais; d’un autre côté, elle était remplie de mépris et de haine pour celui qu’elle avait pour second mari.

Il reste peu de chose à dire.

Ce jour-là, l’officier était absent à la chasse, et, à son retour, à une heure avancée de la soirée, il n’eut pas le temps de se rendre à la grand’chambre. À peine avait-il pénétré dans l’escalier qu’il se trouvait en face de Madeline qui, debout à la porte de la chambre, la figure toute décomposée et pâle, lui cria : «Ah, assassin !» en lui présentant la gueule d’un pistolet. Vif comme l’éclair, il tourna sur ses talons et courut à l’escalier, mais Madeleine tira à l’instant et son cadavre roula de marche en marche jusqu’en bas.

En entendant le bruit, les domestiques accoururent. Quand ils pénétrèrent dans la grand’chambre, Madeline gisait, morte, sur le parquet; elle s’était envoyé une balle dans la tête.

 

Telle est l’histoire de la maison hantée de Port-Royal.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Esther Bourgault #

    On pourrait broder tout un roman de cette histoire…

    15 février 2014
  2. Jean Provencher #

    Tout à fait. J’ignorais tout de cette légende acadienne.

    15 février 2014

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS