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Un loup-garou dans les forêts de la Haute-Mauricie ?

Honoré Beaugrand a passé une partie de sa vie à enrichir l’imaginaire collectif québécois. Nourri je ne sais à quelle enseigne, homme à l’imagination fertile, il aimait construire des contes, ajouter au bagage de légendes d’ici.

Le voici qu’il nous raconte une histoire de loup-garou dans son propre journal, le quotidien montréalais La Patrie, du 16 janvier 1892,

Mon défunt père, dans son jeune temps, faisait la chasse avec les Sauvages de St-François [les Abénakis d’Odanak, vivant en bordure du lac Saint-Pierre] dans le haut du St-Maurice et dans le pays de la Mattawin. C’était un luron qui n’avait pas froid aux yeux, et, entre nous, j’peux bien vous dire qu’il n’haïssait pas les sauvagesses.

Le curé de la mission des Abénakis l’avait averti deux ou trois fois de bien prendre garde à lui, car les Sauvages pourraient lui faire un mauvais parti, s’ils l’attrapaient à rôder autour de leurs cabanes.

Mais les coureurs des bois de ce temps là ne craignaient pas grand chose et ma foi, vous autres, les godelureaux de Montréal, vous savez bien qu’il faut que jeunesse se passe. Mon défunt père était donc parti pour aller faire la chasse au castor, au rat musqué et au carcajou dans le haut du St-Maurice.

Une fois rendu là, il avait campé avec les Abénakis, et sa cabane de sapinages était à peine couverte de neige qu’il avait déjà jeté l’œil sur une belle sauvagesse qui avait suivi son père à la chasse. C’était une belle fille, une belle ! mais elle passait pour être sorcière dans la tribu et elle se faisait craindre de tous les chasseurs du camp qui n’osaient l’approcher.

Mon défunt père qui était un  brave se piqua au jeu et, comme il parlait couramment sauvage, il commença à conter fleurette à la sauvagesse. Le père de la belle faisait des absences de deux ou trois jours pour aller tendre des pièges et ses attrapes, et, pendant ce temps-là, les choses allaient rondement.

Il faut vous dire que la sauvagesse était une v’limeuse de payenne qui n’allait jamais à l’église de St-François et on prétendait qu’elle n’avait jamais été baptisée. Pas besoin de vous dire tout au long comment les choses se passèrent, mais mon  défunt père finit par obtenir un rendez-vous, à quelques arpents du camp, sur le coup de minuit d’un dimanche soir.

Il trouva bien l’heure un peu singulière et le jour un peu suspect, mais, quand on est amoureux, on passe par-dessus bien des choses. Il se rendit donc à l’endroit désigné un peu avant l’heure et il fumait tranquillement sa pipe pour prendre patience, lorsqu’il entendit du bruit dans la fardoche.

Il s’imagina que c’était sa sauvagesse qui s’approchait, mais il changea d’idée en apercevant deux yeux qui brillaient comme des fi-follets et qui le fixaient d’une manière étrange. Il crut d’abord que c’était un chat sauvage ou un carcajou et il eut juste le temps d’épauler son fusil qu’il ne quittait jamais et d’envoyer une balle entre les deux yeux de l’animal qui s’avançait en rampant dans la neige et sous les broussailles.

Mais il avait manqué son coup et, avant qu’il eut le temps de se garer, la bête était sur lui, dressée sur ses pattes de derrière et tâchant de l’entourer avec ses pattes de devant. C’était un loup, mais un loup immense, comme mon défunt père n’en avait jamais vu. Il sortit son couteau de chasse et l’idée lui vint qu’il avait affaire à un loup-garou.

Il savait que la seule manière de se débarrasser de ces maudites bêtes-là, c’était de leur tirer du sang en leur faisant une blessure dans le front, en forme de croix. C’est ce qu’il tenta de faire, mais le loup-garou se défendait comme un damné qu’il était et mon défunt père essaya vainement de lui plonger son couteau dans le corps puisqu’il ne pouvait pas parvenir à le délivrer. Mais la pointe du couteau pliait chaque fois comme s’il eut frappé dans un côté de cuir à semelle.

La lutte se prolongeait et devenait terrible et dangereuse. Le loup-garou déchirait les flancs de mon défunt père avec ses longues griffes, lorsque celui-ci, d’un coup de son couteau qui coupait comme un rasoir, réussit à lui enlever une patte de devant. La bête poussa un hurlement qui ressemblait au cri d’une femme qu’on égorge et disparut dans la forêt.

Mon défunt père n’osa pas la poursuivre, mais il mit la patte dans son sac et rentra au camp pour panser ses blessures qui, bien que douloureuses, ne présentaient cependant aucun danger.

Le lendemain, lorsqu’il s’informa de la sauvagesse, il apprit qu’elle était partie pendant la nuit avec son père, et personne ne connaissait la route qu’ils avaient prise. Mais jugez de l’étonnement de mon défunt père lorsqu’en fouillant dans son sac pour y chercher une patte de loup, il y trouva une main de sauvagesse, coupée juste au-dessus du poignet.

C’était tout bonnement la main de la coquine qui s’était transformée en loup-garou pour boire son sang et l’envoyer chez le diable sans lui donner seulement le temps de faire un acte de contrition. Mon père ne parla pas de la chose aux Sauvages du camp, mais son premier soin, en descendant à St-François, le printemps suivant, fut de s’informer de la sauvagesse qui était revenue au village, prétendant avoir perdu la main droite dans un piège à carcajou. La scélérate était disparue et courait probablement le farfadet parmi les renégats de sa tribu.

Sur le loup-garou, voir ces articles.
Sur les revenants, voir cette série d’articles.
Bref, tout pour avoir peur !

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