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Une noirceur soudaine qui effraie

Le plus grand phénomène dont nos grands-pères ont été témoins a été sans contredit «la grande noirceur de 1819».

Dimanche, le 8 novembre 1819, de sombres nuages se répandirent dans l’atmosphère. Ces nuages étaient presque noirs comme de l’encre et descendirent plus bas que les flancs du Mont Royal. Tout à coup, les cataractes du ciel semblèrent s’ouvrir et une pluie torrentielle inonda les rues de Montréal. Lorsque le ciel se fut un peu rasséréné après l’orage, la terre se trouva couverte par une espèce de poudre noire, qui à l’œil, au goût et à l’odorat ressemblait beaucoup à de la suie.

Pendant la matinée, le soleil était apparu avec un disque d’un vert tendre, entouré d’un halo. Quelques heures plus tard, l’astre du jour brilla d’un éclat inaccoutumé et prit une teinte rose.

Il ne se passa rien de remarquable dans le firmament pendant la journée du lendemain, jour où il y eut une assez forte gelée. Le jour terrible fut mardi, le 9.

Le firmament dans l’avant-midi fut chargé de nuages sombres et épais. Une vapeur forte se dégagea des nuées qui prirent des teintes plus denses et plus noires.

Au lever du soleil, la couleur des nuages changea. Ils avaient d’abord une teinte verte et graduellement ils devinrent aussi noirs que L’Érèbe. Ce jour-là, le soleil s’était levé d’une couleur orange foncé. En montant à son zénith, il changea cette nuance et devint rouge sang. Il prit ensuite une couleur brune foncée ne projetant qu’une lumière très faible.

À midi, l’obscurité devint si profonde que la circulation était impossible dans les rues. On alluma les chandelles dans les maisons, les séances de la Cour et les opérations du commerce se faisaient à la lueur des quinquets. Les âmes timorées, les superstitieux et les libres penseurs les plus avancés croyaient que la fin de temps était arrivée. Dans les maisons, les femmes, qui ne tombaient pas en syncope, récitaient leurs chapelets; les trois églises, l’église paroissiale, Bonsecours et les récollets étaient remplies d’une foule compacte de fidèles qui se préparaient à leur dernière heure. On nous dit que plusieurs moururent de frayeur. […]

Quelques personnes soupçonnaient le Mont-Royal d’avoir un cratère éteint qui s’était remis en activité. Elles supposaient que Montréal allait avoir le sort d’Herculanum, Pompeï et Stabies. Les vieilles femmes croyaient à l’accomplissement des prophéties faites par des Sauvages qui avaient dit que Montréal périrait par un tremblement de terre. Les âmes les moins timorées prétendaient que l’obscurité était causée par un feu dans les bois et les prairies. La désolation était partout, même les animaux dans les champs proféraient des cris plaintifs. […]

À trois heures de l’après-midi, la noirceur fut à son apogée et les citoyens de Montréal furent affolés par la terreur. Les plus braves commencèrent à blêmir et tremblèrent comme les plus timides. Pendant l’obscurité, le tonnerre éclata avec une violence épouvantable. Un éclair d’une grandeur inouïe sillonna le sein des nues et s’abattit sur la flèche de l’église paroissiale.

La foudre serpenta pendant quelques secondes autour de la boule qui soutenait la croix et y mit le feu. Elle suivit ensuite le paratonnerre et s’enfonça dans la terre. Ce coup de foudre fut suivi de plusieurs autres qui remuèrent les maisons sur leurs fondations. La pluie se mit à tomber comme le dimanche précédant et couvrit les rues d’une espèce de suie semblable à celle qui avait été observée l’avant-veille. […]

Le ciel se rasséréna pendant une vingtaine de minutes et la pluie recommença à tomber pendant une couple d’heures, gonflant les ruisseaux qui charroyaient une espèce de brou ressemblant à celle de la lessive. L’obscurité était redevenue aussi complète qu’à midi.

La grande noirceur qui a tant effrayé les habitants de Montréal en 1819 a été observée à Québec, à Kingston et dans plusieurs villes des États-Unis.

L’histoire fait mention d’une obscurité semblable pendant un dimanche de 1781. […]

L’explication du phénomène 1819 n’a pas encore été trouvée par nos savants.

 

Source : Le Sorelois, 16 décembre 1884.

L’illustration est parue dans Le Monde illustré du 24 mars 1900. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Nuit».

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