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Qu’est-ce que l’hiver ?

Allez, novembre est là depuis minuit. Pourquoi retarder le moment de cette question, puisque bientôt nous y serons.

Que le mot est court, mais que la chose est longue.

Cinq lettres suffisent à la main, deux syllabes à la voix, pour renfermer cinq mois en deux voyelles et trois consonnes; pour susciter dans l’âme toute une gamme d’impressions, dérouler devant nos yeux toute une série de tableaux !

L’hiver est la 4e et dernière saison de l’année. Mais le bon sens populaire, en désaccord ici avec la science, a choisi ce moment pour commencer son année, afin sans doute de se débarrasser au plus vite du fâcheux.

L’hiver, c’est la période du deuil de la terre, qu’elle porte en blancs, contrairement à notre coutume; alors plus de fleurs éclatantes et parfumées, plus de fruits savoureux, plus de berceaux épais, de gazons verdoyants; plus de forêts harmonieuses, plus de ruisseaux murmurants, d’oiseaux chanteurs, de brises tièdes; plus de travaux champêtres, tout languit, tout meurt.

La neige couvre le sol, la brise du nord souffle, les arbres semblent gémir; la glace emprisonne les eaux, les champs sont déserts, le vent pleure aux portes et la misère avec son cortège funèbre force les demeures, entre par les fentes mal jointes, les vitres absentes pour s’asseoir dans bien des foyers.

C’est la saison des engelures qui transforment les mains en pattes de homard, du rhume qui change le nez en robinet de fontaine; des rhumatismes, des inflammations de poitrine, des maux de gorge.

Si l’on sort, il faut s’empaqueter comme un colis; si l’on rentre, il faut presque se déshabiller; et si l’on reste à la maison, l’on devra supporter, pour cent motifs, une température à faire éclore des œufs d’autruche.

La mythologie représentait l’hiver sous les traits d’un vieillard couvert de glaçons, avec la barbe et les cheveux blancs; la neige. Quand vous irez à Montréal en hiver, regardez le petit Neptune qui surmonte le jet d’eau près du Palais de justice, il peut vous donner une idée du bonhomme de l’antiquité.

Mais quoi qu’on en dise, il y a du bon, de l’excellent même.

Dans les autres saisons de l’année, l’on vit sous le ciel, aux champs, ou dans la rue, un peu partout; pendant l’hiver on vit chez soi. C’est le temps de la vie de famille, des joies intimes du foyer, des longues causeries, des contes aux enfants, des parties de cartes, des projets d’avenir exposés au coin du feu.

C’est aussi l’époque des grandes fêtes religieuses de Noël, du jour de l’An, des Rois.

Qui n’a souvent évoqué le souvenir de la messe de minuit célébrée dans une église de village ? La terre est recouverte d’un blanc tapis de neige qui crie sous les pieds ou les patins de la carriole; au firmament scintillent mille étoiles, et au loin, tandis que le joyeux carillon des cloches appelle les fidèles, la lueur des cierges s’épandant sur les vitraux couverts de givre font resplendir le saint édifice dans la nuit comme un château de fée.

Et le jour de l’An, cette fête des petits enfants, ce jour d’amicales effusions, de cadeaux de toutes sortes, bonbons, etc.

Et la fête des Rois, le gâteau traditionnel avec sa fève, ses souverains d’un jour !

Et les promenades en traîneaux à travers les champs silencieux, les glissades au clair de la lune, le patinage, les soirées mondaines, les bals, les soupers, tout ce qui constitue le charme de la vie sociale.

Et, depuis les deux dernières années, les fêtes féériques du Carnaval de Montréal, avec son château de glace, ses montagnes russes, ses processions aux flambeaux, ses masquarades [sic] et autres amusements.

Toutes ces joies, ces plaisirs, ces divertissements, nous les devons à cette saison.

Grâce à l’hiver, la terre fatiguée se repose dans un sommeil réparateur.

Grâce à l’hiver aussi, l’homme respire un surcroît de force et d’énergie.

L’hiver a en outre une autre excuse, c’est qu’il engendre le printemps.

Donc fêtons l’hiver, si nous voulons célébrer le printemps.

 

Source : L’Étoile du Nord (Joliette), 22 novembre 1884.

4 commentaires Publier un commentaire
  1. Marielle #

    Comme c’est bien dit, il m’en donne presque le goût, moi qui n’aime pas tellement l’hiver.

    1 novembre 2013
  2. Jean Provencher #

    Heureux, chère Marielle, de savoir que ça vous donne presque le goût de l’hiver.

    1 novembre 2013
  3. Merci pour cet éclat de rire, de vie …Malgré tout j’adore l’hiver mais ce précieux résumé m’a fait rire aux éclats ! Très bien vraiment !!!! ( Réaliste quand même )

    1 novembre 2013
  4. Jean Provencher #

    Absolument réaliste, je trouve. Il débute déprimé, dirait-on, puis se réaligne à mi-chemin. Il se fait une raison.

    1 novembre 2013

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