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L’apostille

Voilà une sorte de petit texte, petit rajout qu’on laisse dans la marge d’un livre ou d’une lettre, ou encore tout en bas à la manière d’un post-scriptum. J’ai toujours aimé posséder mes livres plutôt que de les emprunter à la bibliothèque, afin de me permettre justement des apostilles quand bon me semblait. Dès lors, lorsqu’on revient plus tard à cet ouvrage, on y retrouve une partie de notre cheminement personnel au moment de sa fréquentation. Petites pierres blanches échappées sur son chemin… permettant plus avant de retrouver sa vieille route.

Dans le livre Apostilles ou l’utile et le futile (Éditions Gallimard, 1972), l’écrivain français Robert Mallet propose près de 250 pages de ce qu’il dit être des apostilles. Il est vrai que, parfois, ça tient davantage de la pensée que de l’apostille, de simple matière à réflexion.

 

Une tendresse nous est donnée par les choses quand nous savons les animer de ce regard intérieur qui semble provoquer le leur. Nous recevons notre reflet.

S’il est vrai que les plus belles fleurs ne font pas le meilleur miel, que la beauté soit d’abord notre butin.

De quoi nous plaignons-nous ? La toile d’araignée pourrait être aussi mortelle sans être aussi belle.

Après la marée, les objets perdus prennent leur juste place dans la plage lisse et luisante. Ils ont été adoptés, parfois trop bien. Ils risquent de n’être retrouvés que par le sable.

Belle âme, je t’en prie, ne te dénude pas ainsi devant moi. Il n’appartient qu’à Dieu ou au diable de te prendre.

Le petit garçon tient d’une main son cerceau, et passe et repasse dans le cercle pour imiter le tigre; de l’autre main, il s’applique des coups sur le dos avec son bâton pour se faire obéir. Le jardin est une cage fleurie où l’enfant apprend l’art d’être fauve et soumis.

Vient un moment où tant de fenaisons, d’effeuillements et de fleurs foudroyées font désirer l’absolu de la branche hivernale.

Le nombril est le puits tari de la vérité des origines que nous avons comblé de nos regards anxieux.

L’étincelle de la faux sur le caillou  rachète-elle l’ébréchure d’une lame ?

Les convalescences des maladies d’enfant ont la douceur infiniment maternelle des choses qui recommencent bien, sans qu’on imagine leur suite.

Si l’épine te blesse, c’est que tu ne l’as pas vue ou que tu ne l’as pas caressée.

Ils trouvent la vie ennuyeuse parce que, dans une salle où l’on fait relâche, ils prennent le rideau pour le spectacle.

Comme il est vent, le vent, sous les étoiles immobiles !

Je voudrais être la petite fille qui saute à la corde : elle invente la voûte à la juste mesure du corps qui fait la cabriole, et s’envoûte elle-même.

Nous sommes des chèvres attachées au piquet. Nous ne pouvons pas quitter le cercle du pâturage, mais il nous appartient de brouter sur toute la surface. Ce n’est pas peu.

On se donne tant de mal pour acquérir le moindre petit bien matériel que l’on dispute aux autres, et l’on passe négligent à côté des profusions de l’esprit que l’on pourrait ne ravir à personne.

Si gracieuse qu’elle soit, une statue enveloppée de neige n’est plus que bonhomme.

On a toujours l’espérance vague d’être attendu par on ne sait qui, partout où l’on débarque seul.

Le monde évolue parce que certains marchent à côté des chemins. C’est dans la marge que se font les plus claires corrections.

La vibration à peine audible d’une abeille seule accomplissant sa tâche sous un ciel d’orage peut redonner au monde son équilibre.

L’arbre demande simplement qu’on l’oublie.

Nous sommes plein d’échos qui continuent à résonner en nous, alors qu’est perdu depuis longtemps le son d’origine.

Le bruit que fait un fruit qui tombe de l’arbre dans la clarté silencieuse d’un jour sans un souffle de vent a la résonance du choc de la vie sur l’ombre.

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