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Les petits métiers de la rue

Le 22 juillet 1905, l’hebdomadaire L’Album universel propose à ses lecteurs un article non signé sur les petits métiers de la rue à Montréal. Extraits.

Dire qu’ils sont ici nombreux, ces métiers, serait exagéré, cependant leur variété est assez grande pour mériter qu’on s’arrête à les considérer par le menu.

Car j’en suis persuadé, les lecteurs de cette revue s’intéressent à l’existence des pauvres hères que la nécessité met ainsi sur leur chemin, au coin des rues. Du reste, ces gens-là ne sont pas sans posséder quelque mérite et d’aucuns, si on connaissait leur histoire, provoqueraient, sans doute, et de la pitié et de la commisération.

Ceci est tellement vrai que, dans notre Canada démocratique, l’ouvrier des rues est toléré et encouragé, comme le mérite son honnête et modeste ambition de gagner, parfois péniblement, son pain quotidien. […]

D’abord causons de ceux qui font œuvre de leurs dix doigts. On les rencontre généralement dans les rues de traverse de notre métropole, entre les rues Craig et Ste-Catherine, et aussi, de temps en temps, au nord de cette dernière, surtout dans le quartier ouvrier.

C ‘est là que par les journées au ciel clément se rencontrent et le rémouleur et le «bonhomme» qui arrange les parapluies.  Qui ne les connaît ces deux artisans ? Au son d’une cloche qu’ils agitent d’une main fébrile, d’une cloche au timbre spécial, ils passent, et les ménagères économes et soucieuses du bon état de la coutellerie domestique, ou des «riflards» endommagés, les attendent sur le seuil des portes. […]

Dans un carrefour, un attroupement s’est-il formé, de loin, peut-on croire à un accident, il n’en est rien, heureusement, on approche, on regarde, on écoute, si l’on a le temps, tout s’explique.

Généralement l’orateur populaire est, dans ce cas là, un américain loquace. Il lui faut presque tout le vocabulaire yankee pour expliquer les vertus du ciment dont il se sert pour raccommoder une porcelaine qui n’est ni de Sèvres ni de Chine. Et l’ouvrier urbain enfle la voix, gesticule, prend des morceaux, les présente à l’assistance. Un peu plus, on croirait que c’est un prestidigitateur qui opère. Cela, tout bonnement pour en arriver à vendre quelques boîtes d’un ciment spécial qui colle de merveilleuse façon la vaisselle ébréchée. Avec un peu de bagout, le répareur de porcelaine ferait croire qu’un article de poterie réparé est préférable à un article similaire neuf, vierge de toute cassure…

Que, si l’on continue la promenade urbaine, cherchant à étudier les laborieux en plein air dont je parle, vite on trouve un nouveau sujet en la personne du calligraphe sur cartes de visite. D’habitude, cet artiste de la plume s’installe sur un tabouret devant une petite table pliante, dans le quartier des affaires de Montréal. Celui-là ne parle guère, il fait aller sa plume sur des bristols de luxe ou communs. Les arabesques, les lettres moulées, les écritures ronde, bâtarde, anglaise ou cursive se suivent comme par magie. […]

Il y a aussi à Montréal les professionnels nettoyeurs de plaques de cuivre. Ce sont toujours des gens dans la gêne. Avec quelques sous d’acide azotique, une éponge, du blanc d’Espagne, des chiffons et un poignet vigoureux, l’outillage dont ils ont besoin est complet. […]

L’espace dont je dispose en cette page fuit sous ma plume; je ne me permettrai pas d’achever, néanmoins, sans avoir dit quelques mots des joueurs d’orgue de barbarie, des orchestres de trottoirs, des tireuses de bonne aventure plus ou moins véridiques.

Tout ce petit monde gagne chez nous facilement sa vie; en servant des airs pleurards ou en débitant des choses saugrenues. […] Si j’en crois un ami, les tourneurs de manivelle des orgues en question payent à la ville une taxe assez élevée. Même, dernièrement, et pour des fins de tranquillité, on leur a défendu la quartier des affaires de Montréal. C’est que, sans doute si «ventre affamé n’a pas d’oreilles», marchands en mal de négoce n’en ont pas davantage.

Toujours est-il qu’on aime sans les aimer ces musiciens ambulants, qui nous forcent à les entendre gratter du violon, pincer de la harpe, ou moudre des airs méconnaissables, sur des instruments surannés sonnant la ferraille.

Moi, j’aime mieux les gracieuses fillettes qui, près du marché Saint-Laurent, munies d’une cage pleine de perruches émeraudes, disent sérieusement des naïvetés aux gogos qui croient aux histoires de bonne aventure.

Au fond, il n’y a pas de mal à cela, et on ne peut empêcher un citoyen à l’esprit faible, ou une fillette amoureuse, de payer pour s’entendre dire, presque sur commande : qu’il finira millionnaire, ou qu’elle trouvera un Prince Charmant au prochain pique-nique où elle ira.

Somme toute, l’humanité ne change guère, et les baladins, les charlatans et imposteurs de notre époque sont l’image fidèle de ceux qu’Athènes et Rome connurent dans toute leur gloire.

 

L’illustration du vendeur d’arachides en 1912 dans le parc du Mont-Royal est parue dans le Standard le 13 juillet 1912. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, sous le descripteur «Vendeur d’arachides».

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