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Le ténor Rodolphe Plamondon

Il est bien rare qu’on évoque aujourd’hui le nom de Rodolphe Plamondon (1876-1940). Le voilà perdu dans les strates du temps. Et, pourtant, le journal La Patrie du 26 juin 1906 fait sa une, de manière éclatante, avec sa venue prochaine au Québec. Ce quotidien montréalais le dit même «L’un des plus grands ténors du monde».

Le correspondant de «La Patrie» à Paris, le Dr LeNoblet Duplessis, annonce la venue prochaine de notre compatriote Rodolphe Plamondon et de son épouse, Mme Dufrich [Marie Dufriche], une musicienne de grande réputation.

Inutile d’écrire de nouveau que M. Plamondon a obtenu en Europe des succès considérables.

Il est aujourd’hui, de l’aveu de tous, l’un des plus grands ténors du monde. Nous ne croyons pas commettre une indiscrétion en disant que notre compatriote n’a qu’à le vouloir pour entrer définitivement au Grand Opéra de Paris, où sa merveilleuse voix a déjà soulevé un très vif enthousiasme.

Il est l’artiste favori des concerts Colonne qui réunissent l’élite de la société. Nous l’avons vu, il y a quelques semaines, à l’occasion des fêtes de Berlioz, applaudir et acclamer par six ou sept mille personnes qui encombraient littéralement la vaste salle de Trocadéro.

La Patrie souhaite à M. Plamondon une cordiale bienvenue. Que son séjour au pays natal, qu’il revoit après une absence de douze ans, lui soit agréable !

Nous laissons la parole à notre correspondant.

 

Paris, 11 juin 1906

Dans quelques jours, M. Rodolphe Plamondon s’embarquera pour le Canada, où il ira passer trois mois de douce oisiveté en un des nombreux coins fleuris qui bordent la jolie rivière Saint-François. Cette rentrée au pays natal, après onze ans d’absence, se fera sans tambour ni trompettes, et, pourtant, j’ai encore les oreilles pleines de bruit des applaudissements et des acclamations délirantes qui ont accueilli tout récemment notre ténor canadien au dernier concert Colonne. Dans la grande salle du Trocadéro, des milliers de personnes, la fine fleur des connaisseurs, le Tout Paris, ont fait une ovation enthousiaste à l’interprète du «Songe de Gérontius».

Il est vrai de dire que les succès de Plamondon ne se comptent plus, mais, en cette dernière occurrence, ce fut décisif, triomphal. C’est que notre compatriote possède un organe incomparable. C’est un merveilleux chanteur. D’une haute stature, d’un physique agréable, la nature l’a traité en enfant gâté et on conçoit facilement qu’il soit devenu le ténor à la mode, le héros des fêtes mondaines et la «coqueluche» des salons parisiens.

Le chemin parcouru par Plamondon dans la dernière décade représente une marche ascendante et continue vers le sommet artistique. Qu’on en juge plutôt par les quelques notes biographiques qui suivent :

Fils de feu le notaire Théodore Plamondon, il est né à Montréal en 1876. À sa sortie du collège de Montréal, il vint en Europe pour perfectionner ses études de violoncelle. En 1895, à peine âgé de 19 ans, il obtint la première médaille au Conservatoire de Rennes.

Un peu plus tard, il débutait comme violoncelliste dans les principaux concerts de Paris et, finalement, abandonna son instrument pour cultiver le chant sous la direction des plus grands maîtres. En 1900, Il s’engage à Londres comme ténor, et de ce moment date sa brillante carrière.

Il chante à Vichy, puis à Monte Carlo, où il crée le «Démon» de Rubinstein. Entre autres créations, on peut citer «Don Juan», six cantates de Bach et le «Songe de Gérontius». Au Grand Opéra de Paris, il remplace au pied levé le célèbre Van Dyck, et se voit comblé d’éloges par les plus sévères critiques. Aux concerts du Conservatoire de Colonne, il remporte de nouveaux lauriers dans le «Défi de Phoebus» et « Pan». Même succès au festival de Mozart et aux concerts Lamoureux, surtout dans «Faust» de Liszt.

Au Théâtre Romain (Antique) d’Orange, en plein air, devant dix mille personnes, il chante avec [Felia] Litvinne (d’origine canadienne aussi) les «Troyens» de Berlioz, et soulève un enthousiasme indescriptible. Puis il se fait entendre à la «Schola Cantorum», rue Saint-Jacques, dans les reconstitutions anciennes, la «Passion» de Bach, les œuvres de Rameau, Lulli, Gluck, etc.

Enfin, dans une tournée triomphale, il chante à Lyon, Marseille, Limoges, Cahors, Cognac, Nîmes, Montpellier, Perpignan, Barcelone (Espagne), Nice, Amiens, Douai, Arras, Angers, Amsterdam, Liège (pour les victimes de Courrières), Nancy et Genève.

En 1901, engagement au Caire et les principales villes d’Égypte.

Je ne saurais terminer cette nomenclature sans faire mention des hautes personnalités devant lesquelles il fut appelé à se faire entendre : le roi Edouard VII, le prince de Galles, Lady Dudely, la duchesse de Manchester, Lady De Grey, Lord Charles Beresford, et, à Paris, chez la marquise de Castellane, la princesse de Polignac, la comtesse Portalis, la comtesse de Guerne, comtesse de Maupou, de Brou, de Greffulh (présidente des grandes auditions de France), etc., etc.

Monsieur Plamondon a épousé en 1904 une charmante artiste française, mademoiselle Dufrich, fille de M. Dufrich, baryton fort connu et actuellement directeur de la scène au Métropolitain, de New-York. Madame Plamondon, qui était cantatrice des concerts du conservatoire, est aussi une pianiste distinguée.

M. et Mme Plamondon ont un fils qu’ils adorent, Jean.

Après un repos bien mérité de 3 mois, notre compatriote se rendra à New-York, où il a un engagement spécial. Il rentrera à Paris, fin octobre.

Et pour clore ces notes jetées à la hâte, une petite indiscrétion. On a fait récemment de nombreuses démarches pour engager M. Plamondon au Grand Opéra de Paris, mais il a demandé à réfléchir, tant il lui en coûte de se mettre sous le joug, d’entraver sa liberté.

Nous souhaitons un heureux voyage à notre distingué compatriote et à sa charmante compagne.

 

Voir à cette adresse le témoignage d’Arthur Laurendeau au moment de son décès : http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/actionnationale/src/1940/02/11/1940-02-11.pdf

La photographie de Rodolphe Plamondon provient du site Gallica, de la Bibliothèque nationale de France.

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