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Témoignage d’un Français sur le Bruant des neiges

Un ornithologue, Magaud D’Aubusson (1847-1917), publie dans la revue française Le Naturaliste un article qui a pour titre «Le Plectrophane des neiges (Plectrophanes nivalis). Mœurs, Migrations, Distribution géographique».

Pourquoi donc un Français écrit-il sur le «petit oiseau des neiges» que je croyais bien être nôtre exclusivement ? C’est qu’il est présent aussi chez lui. Et j’aime ce texte, car il s’agit d’un discours souvent nouveau par rapport aux nôtres sur ce petit oiseau attachant.

D’abord pour bien comprendre la phrase d’ouverture du papier de D’Aubusson, il faut savoir que qui se livre à l’ornithologie à la fin du 19e siècle et au début du 20e se promène avec son fusil. On tue ce qu’on croit être un nouvel oiseau pour le rapporter à la maison, bien l’identifier et, parfois, le naturaliser, l’empailler. Oui, je vous entends, les temps, en effet, ont bien changé. Aujourd’hui, la démarche est moins violente pour l’une des deux bêtes, l’observée.

Extraits de cet article de D’Aubusson.

Je rencontre assez fréquemment, dans mes chasses d’automne et d’hiver sur le littoral, un petit passereau, fils des âpres pays du Nord, que la rigueur du froid fait descendre tous les ans jusque sur les côtes maritimes de nos départements septentrionaux : c’est le Plectrophane, ou Bruant des neiges. […] Il se tient presque toujours à terre comme ces dernières [les alouettes], court comme elles sur le sol avec agilité, et s’élève dans les airs en chantant. Il se perche cependant quelquefois, et en Laponie, par exemple, on le voit se balancer longuement sur les rameaux tremblants des saules.

Dans leurs migrations, les plectrophanes se réunissent quelquefois en bandes innombrables, et, en Russie notamment, ils tombent du ciel sur les champs comme des flocons de neige, nom pittoresque et charmant que leur donne le vulgaire en ce pays. Mais, sur notre littoral, les flocons de neige sont beaucoup moins épais. Ils ne forment ordinairement que de petites troupes d’une trentaine de sujets, souvent moins. La plupart de ceux que je rencontre habituellement au pied des dunes ou dans les «mollières» voyagent avec des bandes d’otocories alpestres, l’alouette de Sibérie de Buffon, dont j’ai signalé, il y a quelques années aux lecteurs du Naturaliste, le passage régulier sur les côtes de Picardie. […] Je n’ai pas besoin de dire que nos froids les plus durs ne font rien perdre de leur vivacité à ces enfants des régions arctiques. […]

M. Cretté de Palluel nous rappelle ensuite que, dans l’extrême Nord, les Plectrophanes «habitent volontiers les tombeaux, faisant leurs nids dans les pierres, au moyen desquelles on protège les cadavres que la dureté du sol empêche d’enterrer souvent pendant longtemps, ils utilisent même les cheveux et les poils de barbe». J’ai lu quelque part aussi qu’un voyageur trouva au Groënland un nid de Plectrophanes installé dans la calotte osseuse d’un crâne brisé d’Esquimau. Mais il est bien entendu que le Plectrophane ne choisit ces sites macabres qu’exceptionnellement. Il établit ordinairement son nid dans une fente de rocher ou à l’abri d’une grosse pierre. Les matériaux qu’il emploie pour le construire sont simplement des brins d’herbe, de la mousse et du lichen, et il tapisse l’intérieur de plumes et de duvet. […]

Son chant sonore est le charme des solitudes glacées. «Le 28 mai [1880], dit le capitaine Markham, nous voyons un bruant des neiges voltiger sur les hummocks en poussant son pépiement joyeux, suave musique pour des hommes qui n’avaient pas entendu d’oiseau depuis si longtemps ! Depuis plus de neuf mois, on n’avait pas vu ces «fleurs ailées»; nos malades les plus abattus eux-mêmes demandèrent qu’on les soulevât dans leur traîneau et qu’on leur découvrît le visage afin d’admirer et d’écouter le petit ami venu de si loin pour nous fêter. Nous le suivîmes du regard pendant qu’il regagnait à tire d’ailes la côte vers laquelle nous nous traînions avec tant de lenteur. On se trouvait alors sur la mer de glace au delà du 82e parallèle.»

Tous les navigateurs des mers polaires connaissent le Plectrophane. Il arrive souvent que, soit des troupes en voyage, soit des individus isolés, viennent chercher un refuge sur leurs navires. Ainsi, Malmgren, qui explora le Spitzberg, en vit une bande s’abattre sur les bastingages de son navire et reprendre, après quelques instants de repos, leur route vers le Spitzberg. […]

La patrie du Plectrophane des neiges, le pays où il niche, est la région du cercle arctique. On le trouve en été, dans la Scandinavie, mais il n’y est pas très répandu… Il préfère, pour passer la saison des amours, les îles les plus septentrionales, le Spitzberg, la Nouvelle-Zemble et les terres polaires… Le plectrophane des neiges est peut-être l’oiseau terrestre qui s’avance le plus loin au nord. Si l’on excepte certains échassiers qui sont plutôt des oiseaux de rivage, je ne connais guère que le lagopède alpin, le ptarmigan, qui fréquente d’aussi hautes latitudes, car les autres oiseaux terrestres dont on a constaté la présence au milieu des glaces polaires, tels que le gerfaut, la chouette harfang, le pygargue, le grand corbeau, ne poussent pas, je crois jusqu’à 83’ 24’…

Nous ne voyons guère le Plectrophane, dans nos contrées, que sous son plumage d’hiver qu’assombrissent des teintes brunes et rousses, mais en été le mâle revêt un costume d’une blancheur éclatante comme la neige de sa froide patrie, et que relève le noir profond du dos et des deux rectrices médianes. La femelle a le blanc moins pur, nuancé à la tête, au cou et à la poitrine, de roux de rouille, les plumes noires sont aussi bordées de roussâtre. Cette livrée, où le blanc domine dans les deux sexes, est une sorte de mimétisme passif qui protège ces oiseaux, appelés à célébrer leurs noces et élever leurs petits au milieu des neiges et des glaces, contre les ennemis qui leur font la guerre.

 

Cet article de Magaud D’Aubusson, extrait de la revue française Le Naturaliste, est reproduit dans la revue scientifique québécoise Le Naturaliste canadien, volume XXXII, no 7 (juillet 1905), p. 80-83; no 8 (août 1905), p. 85-88.

Mon ami, le biologiste Pierre Morisset, qui fut membre du Bureau de rédaction du Naturaliste canadien pendant 20 ans, me dit que les 49 premiers volumes de la revue ont été mis en ligne gratuitement par le programme Biodiversity Heritage Library. Voir <http://www.biodiversitylibrary.org/bibliography/7826>.

L’oiseau qui accompagne cet article, le Bruant des neiges, est une création du sculpteur de Saint-Gilles, Claude Lamontagne. Une véritable œuvre d’art. Il s’agit ici de la femelle en tenue estivale.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Nicole D. #

    Merci Jean pour cette chronique enlevante ! Je suis allée voir vos bruants des neiges de déc.2011 très belles photos ! J’espère en apercevoir un jour. Bonne journée sous le soleil, le temps est dégagé et on se sent prêt à ouvrir nos ailes!

    28 décembre 2012
  2. Jean Provencher #

    Merci, chère Nicole. L’heure est au pays enneigé. Souvent, mes oiseaux blancs m’arrivent entre Noël et le jour de l’An. Je les espère donc. Et je vous les souhaite, ces petites beautés pleines de vie. De la graine mélangée répandue quelque part, pas trop loin de la maison pour que vous les aperceviez soudain, tombant comme une pluie blanche, pourrait peut-être aider.

    28 décembre 2012

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