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Enfin les huîtres !

Un des grands bonheurs de septembre est l’arrivée des huîtres. La population en est friande et attend ce moment avec impatience. Sur les quais, dans les gares, on se précipite pour accueillir les goélettes, les trains provenant de la côte atlantique, chargés de barils d’huîtres. De l’île du Prince-Édouard arrivent les Malpecques, du Nouveau-Brunswick, les Caraquets et les Saint-Simons.

Dans La Patrie du 20 septembre 1902, Joseph-Albert Paulhus décrit, dans un texte coloré, la « folie » de l’arrivage des huîtres à Montréal.

L’arrivée des première huîtres à Montréal est tout un événement, à commencer par les compagnies de transportation qui se disputent le privilège de livrer la première cargaison sur le marché; depuis le pêcheur, qui plonge son râteau destructeur dans les eaux tourmentées de la mer, jusqu’aux restaurateurs de la Côte St-Lambert, tout un monde de solliciteurs, d’agents, de négociants se mettent sur les dents, travaillent le jour, veillent la nuit dans l’attente d’un profit, d’un bénéfice à réaliser sur l’exploitation d’un coquillage qui, à part son mérite de flatter un peu le palais, est bien insignifiant par lui-même.

Il semble que les huîtres ont un certain attrait pour les populations de l’extérieur des continents [sic]. Il y a du mystère dans la vie de ces bivalves qui dorment paisiblement au fond de l’océan.

Aussi quand les goélettes qui nous arrivent chaque automne avec leur chargement de mollusques s’alignent le long de nos quais, il faut voir chaque jour la procession qui défile, surtout le dimanche par un jour ensoleillé, devant les barques primitives des vieux loups de mer de la baie St-Simon ou Miramichi.

L’on s’arrête à contempler mélancoliquement les coquilles vides qui s’amoncellent par tas sur la rive. On regarde avec un certain plaisir les mangeurs d’huîtres, le figure mouillée de boue, le couteau en main, travaillant, perçant, se blessant les mains aux coquilles rebelles à l’outil. Souvent des flots de sang se mêlent à la liqueur où se baigne le mollusque; puis tout disparaît avec un bruit de lèvres qui de loin résonne comme des bruits de gros baisers.

Et ces pauvres huîtres se laissent immoler comme des tendres agneaux. On leur plante la lame tranchante dans le cœur, elles ouvrent la bouche et se taisent. Un bruit sec comme le cliquetis d’un fusil qu’on arme se fait entendre, puis tout est fini. Le promeneur rêveur a tout vu cela, il s’en retourne satisfait de son expédition. S’il est un peu observateur, la pensée lui vient que de tout ce qu’il vient de voir : les plus belles huîtres souvent ne sont pas celles qui se laissent avaler.

La scène qui se passe au débarcadère des voies ferrées à l’arrivée des premières malpecques n’est pas moins typique. De bonne heure, le matin, sur le quai du chemin de fer, circule un groupe de personnes, la figure pleine d’anxiété, les traits tirés, comme dans l’attente d’un événement extraordinaire, la venue par exemple d’un personnage de rang. On s’informe de l’heure du train.

—  Quinze minutes en retard.

Sapristi, s’exclame un particulier, que ces machines-là sont lentes !

D’autres, plus patients, bâillent au soleil, aspirent plus fortement la fumée de gros cigares, ou replacent, nonchalamment, comme pour se donner une contenance, leur couvre-chef défraîchi.

Tout à coup, au loin s’estompe un panache de fumée blanche, un cri aigu déchire les oreilles, pendant qu’une locomotive se dessine sur la voie. C’est le train des huîtres. Enfin, vite on accourt. Déjà le premier baril roule sur le quai, en laissant après lui un son de castagnettes qui est une musique harmonieuse pour nos impatients de tout à l’heure.

Des commis affairés, papiers en main, courent de ci de-là, et distribuent à gauche et à droite la part d’un chacun du combustible disputé.

Et pendant que les premiers barils prennent place dans les wagons particuliers, au milieu d’un pandémonium indescriptible, le plus proche restaurant sert déjà à ses pratiques les véritables huîtres de Malpèque, reçues le matin même des bancs, par le train rapide. Si vous ne le croyez pas, lisez la pancarte illuminée accrochée à la devanture de son établissement et n’en doutez plus.

La photo ci-haut est celle d’huîtres provenant de Caraquet, au Nouveau-Brunswick, offertes au marché du Vieux-Port de Québec par les Pêcheries Raymond Desbois, de Sainte-Thérèse-de-Gaspé.

 

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