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La vaccination contre la variole fait son chemin

En 1885, survient la plus grave épidémie de variole de l’histoire du Québec. Près de 20 000 personnes en sont atteintes, 13 000 demeurent défigurées pour la vie, 5 864 en meurent, dont plus de 3 100 à Montréal. Inventée par l’Anglais Edward Jenner, la vaccination gratuite est en usage en Angleterre depuis 1840.

Mais, ici, particulièrement chez les Québécois de langue française, la population est réfractaire à la vaccination, la jugeant inutile et dangereuse. À Montréal, en 1885, on parle d’une des épidémies les plus désastreuses dans l’histoire de la ville. Et ce sont d’abord les enfants de moins de 10 ans qui sont frappés. Toujours à Montréal, au plus fort de l’épidémie, à la mi-septembre, il meurt 30 personnes par jour. Le conseil municipal décrète la vaccination gratuite et obligatoire et l’isolement des malades. S’ensuivent des émeutes.

Sur la rue, des médecins vaccinateurs sont rudoyés. La foule déchire les affiches ordonnant la vaccination ou placardées sur les maisons contaminées. Elle met le feu au bureau de santé du Faubourg de l’Est. La rumeur veut qu’on tentera d’incendier les bureaux des médecins en faveur de la vaccination. Alors le maire Honoré Beaugrand fait appel à l’armée et 600 militaires s’amènent patrouiller les rues. Des gardiens de sécurité accompagnent les médecins vaccinateurs. Finalement, l’Église prend position en faveur de la vaccination. Monseigneur Fabre, l’évêque de Montréal, demande aux gens de se faire vacciner.

Un pareil désastre oblige le gouvernement du Québec à intervenir. En 1886, il crée la Commission provinciale d’hygiène. C’est la première grande date dans l’histoire de la santé publique au Québec. En 1888, la Commission provinciale d’hygiène devient le Conseil d’hygiène de la province de Québec, l’ancêtre du ministère de la Santé. Et lentement, avec l’aide des services municipaux de santé, on commence à recueillir et analyser les statistiques vitales, à ordonner les perquisitions sanitaires et les enquêtes sur les causes des maladies, définir des règlements pour prévenir les maladies contagieuses, faire des recommandations sur les mesures de santé publique et distribuer en temps d’épidémie des informations sur l’hygiène et sur les façons de prévenir les maladies contagieuses et infectieuses. Là où ils n’existent pas déjà, le conseil a aussi le pouvoir d’ordonner la formation de bureaux d’hygiène dans les municipalités et de les soumettre à sa réglementation. Et la mise sur pied de ces bureaux locaux d’hygiène se fait facilement. En 1895, plus de 800 localités ont leur service local d’hygiène.  Certains sont plus dynamiques que d’autres, assurément, mais l’intérêt pour la santé publique est là.

Contre la variole, on organise des campagnes auprès des parents, les invitant à faire vacciner leurs enfants à leur entrée à l’école. Le 14 septembre 1903, le journal La Patrie, dans un article intitulé La population s’apprivoise à l’idée de la vaccination, montre que l’idée fait son chemin.

Depuis la rentrée des classes, se succèdent chaque jour à l’Hôtel de Ville de longues théories [sic] d’enfants allant montrer leurs bras aux médecins vaccinateurs.

Le docteur Laberge nous disait ce matin :

C’est vraiment consolant de voir combien la population s’apprivoise à l’idée de la vaccination. Il y a quinze ans, on assaillait avec des pierres les pharmacies qui osaient vendre de la vaccine; il y a cinq ou six ans encore, on n’allait pas se faire vacciner sans avoir au préalable réglé ses affaires temporelles et spirituelles. Aujourd’hui, les médecins ont convenu les premiers à se rendre compte que la vaccination devait se faire promptement, les accidents sont moins nombreux, et le nombre de réfractaires diminue dans des proportions réellement consolantes.

Les compagnies qui emploient le plus grand nombre d’employés, comme le Pacifique, ont eu l’heureuse idée de n’admettre que des ouvriers portant un certificat de vaccination; et le peuple a fini par se dire que l’adhésion de toutes les sommités de la science et de l’industrie devait témoigner de l’excellence réelle de la vaccine. […]

En France, toute personne cherchant un emploi doit d’abord se procurer un certificat de vaccination pour quelque emploi qu’il espère. Aussi n’a-t-il plus d’épidémie de variole dans les villes de France.

Pour en savoir davantage sur l’histoire de la santé au Québec, on peut s’en remettre à l’ouvrage de Denis Goulet et André Paradis, Trois siècles d’histoire médicale au Québec. Chronologie des institutions et des pratiques (1639-1939), Montréal, VLB éditeur, 1992, 530 pages.

 

11 commentaires Publier un commentaire
  1. Yves #

    Vraiment fascinante cette histoire !

    Merci, j’ adore…

    20 septembre 2011
  2. Jean Provencher #

    Je trouve, cher Yves, que l’histoire de la santé est un sujet absolument passionnant.

    21 septembre 2011
  3. Parfois vantards, fiers, mais déterminés, entreprenants, les Beaucerons sont passés aux actes en 1926…ils ont inauguré la première Unité sanitaire au Québec.

    22 septembre 2011
  4. Jean Provencher #

    Bravo pour les Beaucerons ! Nous reviendrons un de ces jours sur les unités sanitaires au Québec.

    22 septembre 2011
  5. André Levasseur #

    Bonjour Jean, À votre avis, pourquoi la population canadienne française était-elle si réfractaire à la vaccination, malgré la recommandation de l’évêque? Était-ce une question de coût…..? Et pourquoi tout le contraire du côté anglophone? Merci. André

    26 mars 2013
  6. Jean Provencher #

    Le milieu montréalais de l’époque. 1885, était très divisé. Depuis longtemps que les Anglais croyaient à la valeur du vaccin; depuis Jenner, en Angleterre, qu’on avait vérifié son efficacité. De là le plus grand nombre de malades et de décès à l’est de la rue Saint-Laurent. Chez les francophones, ce n’était pas une question de coûts. On ne s’entendait pas; le corps médical était divisé et le clergé lui-même l’était. Beaucoup étaient fort méfiants. Le Conseil d’hygiène de la province de Québec aura vraiment fort à faire et pendant de nombreuses années pour que la population québécoise de langue française adhère au vaccin. Il y a même encore un vieux fond au Québec, une frange de la population qui dénonce encore le vaccin. Même sur la rue, quand quelqu’un m’a entendu parler de l’importance du vaccin dans l’histoire de la santé, au même titre que la pasteurisation du lait, l’antibiotique, l’hygiène, les unités sanitaires, le traitement des eaux, et quoi encore, il arrive, dis-je, que quelqu’un m’enguirlande. Mais j’y suis habitué et j’évite de prendre la mouche. Je cherche plutôt à le calmer et lui dire que son discours est de l’ordre de la foi.

    26 mars 2013
  7. pascal binet #

    Je suis en train de faire l’histoire hospitalière de ma région, et pour ce qui est de Thetford, je constate qu’avant les unités sanitaires de comté, la ville s’était doté en 1921 d’une école maternelle et en 1923, d’une ligue antituberculeuse et de puériculture, financée par les compagnies minières, le gouvernement et la compagnie d’assurances vie la Metropolitaine.
    Votre article m’est utile pour mettre en perspective tout ca.
    Au plaisir!

    30 juillet 2014
  8. Jean Provencher #

    Comment vous remercier, cher Monsieur Binet, de votre témoignage. Et bravo de vous attaquer à l’histoire de la santé dans votre région. C’est là un sujet passionnant, je trouve, et souvent méconnu.

    31 juillet 2014

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