La question des servantes
À toutes les époques, les domestiques ont très mauvaise presse. On les surcharge de travail et, par la suite, on les a à l’œil, prêt à les accuser de tous les maux. Et on ne parle jamais des abus du maître de maison à leur égard. Sans blague, comme pour le soldat inconnu, il faudra imaginer un jour un monument à la domestique inconnue, tant plusieurs d’entre elles en ont arraché. Quelle vie que celle de domestique !
Le 19 août 1905, dans un texte intitulé La question des servantes, la chroniqueuse de l’Album universel, Edna, déplore qu’il y ait de moins en moins de domestiques et énumère les multiples tâches qui attendent une bonne domestique.
La question des servantes devient de plus en plus épineuse, si l’on en juge par les plaintes que l’on ne cesse d’entendre à ce sujet, partout où il y a plusieurs femmes réunies. «Ah ! mon Dieu, que les servantes sont rares ! » gémit l’une. « Que ma nouvelle bonne me donne donc peu de satisfaction ! » s’écrie une autre. « Vous êtes encore bien heureuse d’en avoir trouvé une ! » reprend une troisième; « depuis trois semaines que je cours les bureaux de placement pour remplacer celle qui m’a laissée, et je n’y puis parvenir. »
Nous ne recherchons pas, dans cette causerie, les causes qui ont amené la si grande rareté des domestiques. Aussi bien elles s’imposent presque à tout le monde. Les plus grandes facilités de la vie dans les campagnes, le développement dans les villes des industries qui emploient la main-d’œuvre féminine, l’instruction plus généralement répandue, sont autant de motifs pour lesquels les jeunes filles qui, autrefois, n’avaient pour gagner leur vie d’autres ressources que d’«aller en service», peuvent aujourd’hui aspirer à des travaux souvent plus pénibles peut-être, mais que leur imagination et aussi le préjugé populaire leur fait considérer plus honorables.
Non seulement les servantes sont rares, mais encore, et peut-être même de ce fait, elles sont exigeantes et souvent fort négligentes dans leur service. De là, la nécessité très grande qui s’impose aux maîtresses de maison modernes de connaître parfaitement la routine du ménage, de la cuisine, etc., pour pouvoir — la chose devient indispensable — faire l’éducation des diverses bonnes qui passent à leur service.
Que ce soit une fille fraîchement débarquée de la campagne ou une immigrante, cette éducation a toujours à être faite soigneusement.
Il existe en France une ou plusieurs écoles de domestiques, qui donnent, paraît-il, des résultats merveilleux. On y apprend le ménage, la cuisine, le service en un mot depuis A jusqu’à Z. Il y a des cours de balayage, de nettoyage, de blanchissage, de ravaudage, de couture. On y enseigne aussi les soins à donner aux enfants, aux animaux, aux plantes. Les domestiques qui sortent de ces cours sont diplômés, sans doute, et pour obtenir un engagement avantageux, ils se font gloire de montrer leurs parchemins; ainsi on est sûr que si la bonne laisse de la poussière sur les meubles, de la suie dans les cheminées de lampe; si la cuisinière gâte une sauce ou fait danser l’anse du panier, ce sera fait par les méthodes les plus modernes et en toute connaissance de cause.
Nous ne possédons pas encore, en notre jeune Canada, d’institutions de ce genre, mais nos maîtresses de maison sont assez femmes d’intérieur, pour la plupart, pour pouvoir se faire le professeur d’une bonne inexpérimentée et ignorante de ses devoirs.
Il ne s’agit que de dire, avec bonté, à la nouvelle servante ce qu’on attend d’elle, à la surveiller gentiment (j’insiste sur ce mot) les premiers jours à son travail, et à la reprendre doucement à chaque erreur.
Pour essuyer les meubles, elle se servira d’un torchon fin; elle commencera par un bout de la pièce et ira en suivant, c’est le seul moyen de ne rien oublier. Elle passera son chiffon sur les boiseries, rebords, frises, etc. On enlève la poussière d’un chaise en frottant d’abord le siège, puis les pieds et le dossier; si le siège est en tapisserie, il doit être brossé quotidiennement, sans préjudice du grande nettoyage hebdomadaire, où les siège sont battus dehors ou dans l’antichambre. Ne pas oublier, dans l’essuyage, les pieds de la table, la lampe suspendue, etc. Les bonnes, généralement, négligent ces petits détails; c’est à la maîtresse de maison à «voir» tout de suite l’omission et à la signaler chaque fois, afin d’éviter les fréquents retours.
Il faudra aussi recommander à la bonne de ne pas cantonner les couvertures sur l’appui des fenêtres, lorsqu’il s’agira de «faire les chambres», mais de les disposer sur une chaise près de la fenêtre, afin qu’elles ne soient point souillées par les poussières du dehors. Aussi, lui dire de manier avec précaution les faïences. Vous lui ordonnerez de laver tous les jours les savonnières, le pot à eau, extérieurement et intérieurement. Enfin, vous exigerez qu’elle soit toujours et partout vêtue avec la plus grande propreté et qu’elle ait toujours les mains nettes et les cheveux proprement arrangés. Ce sont de petits détails, peut-être, mais qui sont très loin d’être sans importance.
Il existe un solide ouvrage de Claudette Lacelle sur le sujet, Les domestiques en milieu urbain canadien au XIXe siècle, Études en archéologie, architecture et histoire, Lieux et parcs historiques nationaux, Environnement Canada – Parcs, 1987, 278 pages.
Source de cette illustration d’une domestique faisant faire la belle à un chien vers 1919 : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Montréal, Collection Monique Mercure-Vézina, Photographies, cote P157, S4, P47
À la lecture de ce texte, pas de doute possible: je ne serais pas une bonne domestique, je n’ai pas grande compétence avec la poussière ! « Mère qui roule n’amasse pas mousse! » me disais-je.
Que veux dire « faire danser l’anse du panier »?
Une expression qui signifie : faire une course pour son patron et, au retour, lui charger plus cher que ce qu’il en a coûté.