Retour en bordure de la mare des Grenouilles des bois
J’ai passé de longs moments tout à fait immobile en bordure cette mare avant-hier. Retournons-y.
Tout près, avant même d’être arrivé, on entend les clapotis des nombreux galopins qui descendent se cacher sous des feuilles au fond de l’eau.
Impossible de savoir combien ils sont. Une quinzaine ? Peut-être bien.
D’abord, notons qu’il n’y a eu que deux pontes d’œufs à ce jour, ce qui signifie que les mâles n’ont pas fini de chanter pour séduire les femelles. L’an passé, il y eut cinq pontes.
Et je prends position, comme samedi, à la même place, sans jamais bouger. Quelques grenouilles ont refusé de plonger et m’ont à l’œil.
Soudain, à ma grande joie, se rappelant sans doute de ma longue présence de la veille, une grenouille femelle, au ventre bedonnant, s’approche, se place finalement à mes pieds et me regarde. J’aurais tant aimé que nous soyons capables de nous parler. Une autre femelle se joint bientôt à elle, mais décide rapidement de poursuivre sa route.
Que j’ai aimé cette batracienne qui n’avait aucune crainte ! Et parlait, que nous le voulions ou non, à sa manière. Ce comportement disait tout. Immense cadeau.
Mon ami Simon Hains, philosophe, et moi, après plusieurs recherches et de nombreuses réflexions pendant quelques années, en sommes venus à une notion de « porte » entre vivants. C’est-à-dire chacun demeurant dans son monde, dans son entité personnelle, mais disposant d’une ouverture possible venue de pensées naissant de la relation avec l’autre. Cette grenouille s’approche, car, il y a deux jours, je suis demeuré complètement et longtemps immobile, donc non dangereux, en bordure de son lieu de vie, et reprenant ce processus, hier, ce qui l’amène à croire qu’elle peut s’approcher. Nous ouvrons une porte, elle et moi. Elle m’amène dans son monde et je l’amène dans le mien.
Et ce que dit le chercheur français Jacques Tassin, c’est la sensibilité qui nous est commune entre vivants (Pour une écologie du sensible, Éditions Odile Jacob, 2020). N’imposons pas notre gros cerveau si prétentieux chanté par Descartes.
Notre prémisse de départ est la suivante : Il y a peut-être devant nous un décor de carton-pâte que nous croyons être la réalité complète, que nous avons toujours admis sans le questionner, mais dont il est possible de s’échapper par une porte qui est là, mais que nous n’arrivons pas à voir. Il suffit simplement de mettre du nôtre. En ayant en tête ce qu’écrit Virginie Maris (La part sauvage du monde, Éditions du Seuil, 2018) : « Chaque être vivant construit son monde et l’investit de sens et de représentations à sa manière ».
Superbe réflexion
Comment te remercier, cher ! Merci infiniment !
Oui, une porte, une passerelle, un fond commun, une merveilleuse nappe phréatique du sensible, une matrice première qui permet toujours un passage du vivant vers l’autre.
Merci pour votre texte qui est venu jusqu’à moi.
Amicalement
Jacques Tassin
Ô, cher Monsieur Tassin, quel plaisir de Vous savoir là depuis la France !
Et bravo pour votre livre fort riche, un véritable pont ! Il faudrait qu’il soit lu par tellement de monde.
Mon fils m’écrit : Ce que j’aime de ce billet, c’est que tu pars d’une expérience très personnelle, mais que tu aides les gens à décoder à travers la philosophie et les penseurs de la nature.
Merci beaucoup, cher Monsieur !
Salutations bien cordiales. Et poursuivez vos réflexions fort utiles.
Bonjour Jean,
J’aime beaucoup l’expérience que tu décris ici. Pour avoir vécu quelques fois ce genre d’expérience lors de mes randonnées pédestres en forêt, ça reste gravé dans notre mémoire pour longtemps, pour ne pas dire l’éternité. J’ajouterai personnellement que par cette porte ouverte, ce sont les esprits de tout être vivant qui entrent en contact dans une communication non verbale.
Hier, j’ai observé des Jaseurs boréals durant quelques minutes dans un arbre tout près de moi pendant que je lisais. J’ai mis de côté mon livre et je ne peux décrire la joie ressentie à les regarder. Soudainement ils ont tous déguerpis, un oiseau de proie s’approchait et planait…
Merci beaucoup cher ami et bonne journée.
Oui, cher Claude, comme tu dis. Notre sensibilité commune à tous les vivants nous permet de nous rejoindre, qu’importe qui nous soyons.
Au sujet des oiseaux de proie, j’en avais un hier qui a surgi et a fait crier tellement fort les Geais bleus que même les plus petits oiseaux ont eu peur. Mais l’oiseau de proie n’a pas trouvé de bouffe chez moi.
Belle journée à toi.
Merci Jean pour cette belle réflexion!
Le récit de ta rencontre est une belle invitation! J’ai me suis amarré et me suis visualisé faire ce genre de rencontre. Cela a réveillé en moi quelques expériences similaires et le brassage intérieur qui en a résulté a fait émerger un sentiment bien particulier et complexe.
Après l’avoir contemplé un moment, j’ai pris conscience à quel point ces rencontres peuvent provoquer quelque chose de spécial, car le sentiment qui teintait l’ensemble de ma mer intérieure en était un d’immense liberté et de relâchement.
Je remarquais à quel point il semble que mes limites personnelles habituelles disparaisses pour transformer la petite marre en tous les océans.
Dans le flux des interactions possibles, ce lien étroit avec une autre créature de la nature, cette canalisation de l’attention est création et destruction tout à la fois; elle laisse derrière elle, à la surface, la multitude pour ce concentrer sur une oeuvre, en cela elle nous libère d’une multitude d’attache et rend caduc les frontières, et de l’autre côté, ce lien unique, cet échange, laisse circuler en lui une infinité d’élément et semble être la mère de toute les créations.
Je constate donc quelque chose de bien amusant, car dans cette rencontre intime avec l’autre, au lieu d’y trouver un autre individu, un étranger, j’y découvre, en quelque sorte, le tout, et le sentiment qui en découle est celui de la plus vive impression d’être en connexion intime avec moi même, de me connaitre mieux que jamais, comme si je pouvais enfin voir en moi ce mouvement créateur qui génère et fait être tout.
Je vie alors pleinement le sentiment décontracté de l’être qui peut!
Cher Jean, ces rencontres intimes que tu nous incites à faire me donne l’élan de créer!
Ah, cher Simon, rappelle-toi le long et passionnant travail que nous avons fait, toi et moi, pour en arriver là.
Je m’en rappellerai toujours.
Merci, cher ami, de ce courriel magnifique.