Il faut que je vous raconte
Depuis 1976 que des chats remontent l’allée pour se rendre chez moi. D’ailleurs, dès ce moment, il y avait déjà deux chats dans la grange, Charlie et Quéquette, les a-t-on appelés rapidement. Et, au grand bonheur des enfants, ils étaient approchables.
Au fil des ans, plusieurs chats sont apparus. Une bonne vingtaine, peut-être même 25. Souvent, j’ai entendu une porte d’automobile se refermer et vu arriver quelques instants plus tard un chat, rarement abordable.
Comme j’habite un rang perdu, loin de la civilisation, quel belle occasion pour se débarrasser d’un chat dans l’anonymat ! D’autres fois, un chat était déjà sur place sans que je sache d’où il venait.
En passant, les médias nous servent constamment l’affirmation que les chats tuent des millions d’oiseaux. Cela me fait bien rire. Chez moi, jamais les chats n’ont semblé intéressés par les oiseaux. Il m’arrive de remarquer, rarement cependant, des tas de plumes d’oiseaux disposés en cercle de manière précise. Je vois là le travail de petits et de moyens rapaces, et non de chats.
Le dernier chat venu est Juliette. J’ai pu la photographier la première fois, le 28 octobre 2018, alors qu’elle mangeait du pain donné aux oiseaux. Mais ma première observation remonte au 9 octobre après le claquement d’une porte d’auto. Voyez une des premières photos d’elle ci-après. D’autres suivent à différents moments depuis ce temps.
D’où vient que je sais son sexe ? Voici. Le 18 novembre, j’ai aperçu sur la galerie arrière deux jeunots, dont l’un avait un visage qui s’approchait vraiment de celui de sa mère. Voyez l’image. En m’apercevant à la fenêtre, ils sont disparus et je ne les ai jamais revus.
Comme dit l’une de mes sœurs, Juliette vit une vie de barreau de chaise. Elle a passé l’hiver fou que nous avons connu sous la galerie avant. Parfois, les dindons sauvages lui ont piqué sa bouffe, étant capables en se pliant les pattes en quatre (comme ce qu’on appelait un pied-de-roi autrefois) d’entrer en partie sous la galerie. Je le lisais à chaque fois par les pistes qu’ils laissaient dans la neige.
Maintenant, je vois le passage d’un raton laveur venu prendre sa bouffe sur la galerie arrière et boire son plat d’eau, sans oublier de déféquer, à côté du bol, des grains de maïs non digérés. Je trouve que la vie de travailleur autonome est fort exigeante, mais celle que vit cette chatte n’est vraiment pas facile. Il lui faut être forte.
Or, or, or, en ce moment, manifestement, elle a des puces. Contre ces petites bêtes, il existe une pilule que nous pouvons mettre dans le plat de viande du chat qui ne peut que l’aider. Chez le vétérinaire où je me suis présenté, la réceptionniste, bien accueillante, m’a félicité pour mon engagement envers cette chatte inconnue et sans âge. Elle m’a confirmé que cette pilule existe, mais il faut qu’un vétérinaire voit la bête avant d’obtenir une ordonnance pour pouvoir acheter ce remède. Ce qui veut dire, bien sûr, vous l’aurez compris, un déboursement autre que le prix des pilules. Je lui répète que je la connais maintenant, qu’elle est ensauvagée, qu’on ne pourrait s’en saisir sans augmenter davantage sa crainte de l’être humain. D’ailleurs, peut-être a-t-elle déjà été battue, qui sait.
Je suis parti, comprenant qu’il n’y avait pas de salut pour cet animal de ce côté-là.
Manifestement, il faut reconnaître qu’il y a des bêtes que nous évitons de soigner parce qu’elles sont ce qu’elles sont, que nous croyons qu’il nous revient de contraindre l’animal à être ce que nous voulons qu’il soit, que nous n’avons strictement rien prévu pour les ensauvagés, et que nous tournons à vide face à eux. Il faut avoir l’honnêteté de l’admettre.
Cette petite bête est aussi honorable que toutes les domestiquées du monde, même si elle n’est pas soumise à nos volontés.
Question. Pourquoi n’aurait-on pas le droit de faire affaire avec des médecins des animaux qui, eux, seraient vraiment conscients de ce que vivent les ensauvagés, qui accepteraient de les soigner, même si ces bêtes ne tolèreraient pas d’être manipulées ?
À vous qui êtes au bout de ce billet, qui connaissez peut-être comment je pourrais me procurer cette pilule qui permettrait à cette chatte de continuer à vivre cette vie exigeante, mais sans ce souci en plus, merci de m’écrire à l’adresse suivante : blogue@jeanprovencher.com
Vos dires n’apparaîtront pas comme un commentaire sur ce billet, mais rebondiront chez moi simplement comme un mot personnel et confidentiel que vous m’envoyez. Je vous remercie.
Et que continuent à vivre en paix les ensauvagés avec le soutien de celles et ceux qui croient qu’ils sont aussi précieux que ceux qui acceptent de faire nos quatre volontés !
Une dame m’a déjà dit au sujet de cette chatte « À tant vous soucier du sort de cette bête, vous devez la trouver ingrate de ne pas faire preuve à votre égard d’un minimum de reconnaissance ? » Je lui ai répondu : « Pas du tout. Même que je la comprends. »
Juliette ne saurait avoir plus éloquent avocat pour défendre sa cause et celle de ses semblables, Jean. Elle ne se laisse pas manipuler, dis-tu, on devine qu’elle se méfie des humains. Abandonnée, peut-être battue, on ne peut la blâmer. Quelle chance elle a eue un jour de découvrir au bout du chemin un humain qui sache l’approcher et lui parler doucement, qui respecte sa volonté de se tenir à l’écart et de calmer sa faim en partageant le pain des oiseaux. Bien mieux, les visites de ‘son humain’ sont devenues plus fréquentes et il lui donne à chaque fois de quoi ne plus avoir à chiper le pain des oiseaux. Elle a décidé de faire sa demeure au bout du chemin.
J’ai vu des dizaines de photos de Juliette, Jean, et il me semble voir depuis peu une petite lueur dans ses yeux. Son environnement n’est plus hostile. Qui sait, elle a peut-être découvert l’espoir. L’espoir que ‘son humain’ apparaîtra aujourd’hui encore.
Il faudrait bien que quelqu’un t’aide à régler la question des puces.
Merci beaucoup. Je rentre d’être allé la nourrir et elle me semble en pleine forme, toujours ensauvagée, mais en pleine forme. Le plombier était de passage pour le puits, aussi elle n’osait gagner la galerie pour bouffer, même si l’homme était loin. Et, lorsque je m’approchais de la galerie, sachant que c’était bien moi, elle montait pour se nourrir. Un signe qu’elle a une plus grande confiance en moi qu’au plombier. On me dira, c’est normal. Mais j’aime cette manifestation de sa part. Elle reconnaît que je ne suis pas un Bonhomme Sept-Heures. Après plus de 11 mois, j’arrive à lire des comportements de sa part qui étaient vraiment illisibles auparavant.
Mais je la comprends tellement et je lui laisse l’entière liberté de ses comportements. J’apprends, moi aussi, en ce moment. Elle est bien gamine.
Lorsqu’elle est repue grâce à la bouffe, elle gagne un des sous-bois qu’elle a identifiés sans doute depuis longtemps, et, par une belle journée comme aujourd’hui, je suis certain qu’elle s’y rend pour dormir, car je ne la vois plus alors. Je désire que ce chat retrouve une paix intérieure, même relative.