Sus à la cigarette !
Ce que nous avons longtemps prisé, chiqué et fumé la pipe ! Même les femmes et les enfants fumaient. Quelques-unes même prisaient et chiquaient. Les voyageurs de passage le signalent
Mais, à la fin du 19e siècle, nous tombons dans la cigarette. D’ailleurs, tous les moyens sont bons pour entraîner la population, même les plus jeunes. Voyez ce passage du Quotidien de Lévis le 3 août 1894.
On pouvait voir, ce matin, appendues à la devanture de certains magasins à Québec, des boîtes automatiques sur lesquelles on lit : Mettez 1 centin et vous aurez une cigarette. On peut s’attendre à voir de ce temps-ci tous les gamins la cigarette au bec au lieu de mâcher de la gomme. Ces boîtes sont un grand danger pour les enfants qui vont contracter l’habitude de fumer et devraient être prohibées.
Bien oui, voilà, c’est ce qui s’appelle «vendre des cigarettes à la cenne». En 1908, un journaliste du Soleil en a assez.
Il n’y a pas à dire, écrit-il le 31 mars, l’habitude de fumer la cigarette nous envahit de façon alarmante.
Il faudrait être aveugle pour ne pas voir tous les progrès de cette passion, c’en est une, qui entraîne un si grand nombre de personnes.
Si l’habitude de la cigarette est pernicieuse pour un homme fait, elle l’est encore plus pour l’enfant. En effet, examinez ce petit fumeur enragé de la cigarette, ses yeux sont ternes, cernés, sa figure est émaciée, son teint est jaunâtre et ses doigts tachés par la nicotine, substance très vénéneuse qui se trouve dans le tabac.
Un instituteur quelque peu observateur s’aperçoit vite de cette vilaine habitude chez les élèves dont il est chargé. Le petit fumeur de la cigarette est le plus souvent d’un caractère fourbe, son esprit est plus lourd, sa mémoire moins vive et ses penchants mauvais beaucoup plus accentués que chez les autres élèves de sa classe. Le petit fumeur est enfin moins souple à l’obéissance à ses maîtres et à ses parents.
Il est temps, croyons-nous, pour les parents d’y voir avant qu’il soit trop tard.
Veut-on, pour se convaincre des progrès énormes de la cigarette, des statistiques irréfutables ? Qu’on lise ce qui suit :
Voici les chiffres ascendants de la consommation de la cigarette en Canada :
1896… 87,507,840 cigarettes
1906… 277,430,850 cigarettes
1906-07, 9 mois… 275,377,710 cigarettes
Il est facile de conclure que la cigarette sera bientôt reine dans notre pays, si on ne réagit pas.
D’après une récente statistique, il se fume annuellement, dans le Royaume Uni, pour $75,000,000 de cigarettes. La consommation moyenne de cigarettes par jour est de 8 par homme. En supposant qu’une cigarette dure dix minutes, on déduit que les fumeurs de cigarettes dépensent en moyenne quatre-vingt minutes par jour.
Ci-haut, cette publicité de Sweet Caporal est tirée de l’Album universel (Montréal), édition du 20 mai 1905. Il faut croire que le fabricant de cette cigarette, la Kinney Bros Tobacco Company, de New York, a payé cher cette pub, car il est bien rare que de la couleur apparaisse alors dans l’Album universel.