Le mécontentement continu au sujet des chemins à barrières
En 1840, le gouvernement du Bas-Canada imagine la création de ce qu’on va appeler les chemins à barrières, soit l’équivalent de ce qu’on nomme aujourd’hui les routes à péage.
On en trouvera dans les régions de Montréal et de Québec. Le gouvernement espère que l’argent perçu lui permettra d’améliorer le réseau routier. Mais ce système ne cessera de mécontenter les populations jusqu’à son abolition durant les années 1910.
Ici, en plein mois de février, dans la région de Montréal, on est fort déçu du réseau routier.
Qui n’aurait jamais pu croire que, dans les routes de l’île de Montréal, entretenue aux frais du gouvernement, on pût se croire au milieu des plaines et des forêts de l’extrême Ouest. Et cependant cela est.
Nous avons déjà reçu plusieurs plaintes de citoyens de Montréal et en particulier des banlieues. Le gouvernement, nous disait-on, est bien aise de recevoir le droit de péage, eh bien ! nous voulons en retour recevoir une juste compensation et avoir des chemins où l’on ne soit pas exposé à tout moment soit à s’enneiger, soit à se rompre le cou.
Prenant en considération toutes ces plaintes, « La Presse » a hier envoyé, sur les lieux, un de ses représentants et l’un de ses artistes.
Cela s’est peut-être vu dans les commencements de la colonie, dans le bon vieux temps, où les tempêtes d’hiver au Canada étaient légendaires. Mais de longtemps on avait vu des chemins aussi impraticables que durant la saison présente.
À peine laisse-t-on la voie des tramways, au terminus, que les bancs de neige et les trous commencent à surgir comme par enchantement. Un exemple entre plusieurs : la barrière à Viauville, et acheminons-nous vers la Longue-Pointe [nous sommes dans l’est de l’île de Montréal]. Très pittoresque cette route dans un tableau de maître, mais plus qu’incommode en pratique.
Des deux côtés du chemin se hérissent et se dressent de gigantesques bancs de neige contre lesquels on voit des fosses profondes, de véritables gouffres. On dirait le défilé des Thermopyles. Et c’est dans cette route superbe, où il y a à peine place pour une voiture légère, que nos « habitants » doivent se rencontrer avec leurs lourds traîneaux chargés de foin.
Il nous est même arrivé, hier, d’assister à une de ces scènes. Un solide gaillard venait de la Longue-Pointe avec une immense charge de foin traînée par deux chevaux. En sens inverse, venait un sleigh auquel était attelé un cheval fringant.
Il fallut se rencontrer dans un endroit de la route pas plus large que la main. L’« habitant » , sa voiture, son cheval s’empêtrèrent dans une montagne de neige ; le citadin ayant roulé en bas de sa voiture alla piquer modestement une tête de l’autre côté du chemin, près d’une clôture en fil barbelé. Et les jurons de pleuvoir, en veux-tu, en v’là.
Un peu plus loin, cinq traîneaux retournaient à la Longue-Pointe à la file. Réellement comique de voir ces traîneaux avec échelles, descendant et montant les fosses de la route. De loin, le spectacle ressemblait à des vaisseaux ballotés par les vagues de la mer.
Et ce ne sont là que quelques incidents et accidents pris entre mille.
La Presse (Montréal), 22 février 1902.