La belle Angélique
Ah, nous voici rue Saint-Louis dans le Vieux-Québec à la fin du 19e siècle. Quelle image incroyable ! Comme si on y retrouvait toute une époque. Simplement dans cette femme à grand chapeau, qui nous fait dos.
Le 27 août dernier, je racontais que l’Américain George Eastman vient d’inventer en 1888 le premier appareil photographique pour grand public et à prix relativement modeste. Il l’appelle Kodak, un mot simple, frappant, prononçable dans toutes les langues. You press the button, disait-il, dans sa publicité, we do the rest. La photographie populaire voyait le jour.
Je vous disais aussi que mon ami bouquiniste, Michel Roy, venait de mettre à ma disposition deux petits albums, contenant quelque 80 photos en sépia. Des images prises par on ne sait qui, peut-être un touriste de passage à Québec. Et assurément avec un Kodak d’Eastman. J’exultais, bien sûr.
Cette image magnifique est extraite d’un de ces albums. Et voyez la légende manuscrite : Home of Angelique Des Meloises.
La belle Angélique, de son vrai nom Angélique Renaud d’Avène des Méloizes, est née à Québec en 1722, a étudié chez les Ursulines, tout près de cette résidence, et est décédée à Blois, en France, en 1792. On disait qu’elle était « une personne très remarquable pour sa beauté, ses agréments et son esprit ». Le 3 janvier 1746, elle épouse Michel-Jean-Hugues Péan, aide-major à Québec.
Dans la biographie d’Angélique, l’historienne Juliette Rémillard note : « Toutes les qualités de l’époux « consistaient dans les charmes de sa femme », écrira narquoisement l’auteur anonyme du « Mémoire du Canada ». Cependant, Péan occupera un haut rang dans la société de Québec, car il deviendra l’homme de confiance de l’intendant Bigot. »
Le couple habite cette somptueuse demeure de la haute ville où, écrit toujours Rémillard, « après la maison de l’intendant, la meilleure de la ville est celle de Mr Péan […] C’est chez lui que s’assemblent tous les gens du bel air ; on y vit à la mode de Paris. » L’hôtesse est jeune, sémillante, pleine d’esprit, d’un caractère assez doux et obligeant; sa conversation est enjouée et amusante. Médiatrice et protectrice de ses parents et amis, elle est fort habile, ajoutent les chroniques du temps, et l’on ne manque point de faire la cour aux Péan. L’arrivée de l’intendant Bigot à Québec, en 1748, influença la vie du couple Péan. À cette époque, Bigot avait 45 ans et Angélique 25 ans. Les mémoires du temps veulent que cette dernière ait été « la Pompadour » de l’intendant et que son facile époux ait délibérément accepté la situation qui lui offrait l’avantage d’amasser sa fortune plus rapidement. Les somptueux banquets et le jeu étaient alors à l’honneur dans l’entourage de l’intendant ; Mme Péan joue avec le haut magistrat et des fortunes changent de main. »
Tous les grands de ce monde, sauf, bien sûr, les religieux, ont fréquenté cette demeure de la belle Angélique. Après la chute de la Nouvelle-France en 1760, un certain nombre d’entre eux, ayant regagné la France, seront emprisonnés à la Bastille, la plupart pour malversation, corruption.
Ce qui étonne aujourd’hui, c’est l’absence de plaque commémorative sur cet édifice de la rue Saint-Louis, la plus imposante résidence privée de tout le Régime français, en Amérique. Sur cette plaque, je ne donnerais pas d’infos, j’écrirais simplement La maison de la belle Angélique, j’intriguerais le passant, l’obligeant à se demander qui était donc cette belle Angélique. Et l’histoire ferait du chemin de cette manière.
Et puis, à bien regarder, n’est-ce pas elle, ma foi, qui descend ici la rue Saint-Louis ?
Pour la biographie d’Angélique de Juliette Rémillard, avec de nombreux renvois aux personnages du temps, voir le Dictionnaire biographique du Canada : http://www.biographi.ca/009004-119.01-f.php?&id_nbr=2140
JE ME DEMANDE SI CETTE BELLE ANGÉLIQUE AURAIT LAISSÉ SON NOM SI DOUX A ENTENDRE À CETTE JOLIE PLANTE OMBÉLIFAIRE QUE JE CROISE L’ÉTÉ LE LONG DE NOS ROUTES DE CAMPAGNE ET QUE NOS PARULINES ADORENT VISITER CAR LES INSECTES Y VIENNENT SE GAVER DE SUCRE.
Ô, ce n’est pas certain, cher Claude. Chose sûre, elle aurait bien pu laisser son joli nom à cette belle plante.
Ce qui me facine c’est de voir « l’arbre au boulet« à l’est de la maison Péan. Il est tout petit….Personnes à cette époque se doutaient que ce dernier cachait dans ses racines un précieux témoin de notre histoire soit un boulet de mortier calibre 36. L`origine de ce projectile? Britannique (1759)? Française (1760)? Américaine (1775)? Le débat se poursuit toujours….Qu’en pensez-vous mon cher Jean? Moi j’aime le côté poétique de la chose, cette portion d’histoire issue directement de nos racines…
Cher Yvon, je n’ose détruire l’histoire qu’on se fait de ce boulet, bien visible aujourd’hui et coincé dans les racines de l’arbre. Les cochers s’amusent à dire aux touristes que c’est un «pruneau» anglais lancé à partir des bateaux qui assiégeaient Québec à l’été 1759. À ce sujet un vieux monsieur m’avait dit «Bien non, Monsieur Provencher. Ce sont des étudiants du Séminaire de Québec, de joyeux carabins, qui, pour s’amuser, à la fin des années 1940, sont allés placer ce boulet dans les racines de l’arbre, histoire de se moquer de tout le monde.» Le monsieur m’avait même donné des noms.
Voilà une toute autre version de l’histoire, plus méconnue celle-là…
Mes études en ethnologie m’amène à donner une certaine crédibilité à votre témoignage recueillie. Alors que faire? Officialiser cette version ou taire le tout afin que nos cochers puissent perpétuer cette histoire chevaleresque de l’arbre gardien de la mémoire d’un fait d’arme passé? Je crois que les deux histoires méritent d’être mentionnées dans la mesure où un même témoin est mis de l’avant soit un boulet de mortier du XVIIIe siècle. Ce type de boulet a été retrouvé dans la cour du Séminaire lors de fouilles archéologiques au milieu des années 1990. Ils ont été les grands responsables de la perforation de nombres de toitures lors du siège de Québec comme l’on observe dans les gravures de Richard Short en particulier celle de la chapelle des Récolets à la Place d’Armes. Il serait intéressant de retrouver des témoins oculaires du geste des étudiants de l’époque afin de mieux comprendre leur motivation et le choix de cet emplacement précis. Pour ce qui est de la provenance du boulet, je ne serais pas surpris d’apprendre qu’il aurait été subtilisé dans la cour du Cercle de la Garnison situé plus à l’Ouest puisque l’on y retrouve encore aujourd’hui en grand nombre le même type de boulet disposés en pyramide.
Oui, que faire ? Je crois, moi aussi, que les deux histoires méritent d’être mentionnées. Ça me rappelle un autre fait. Vers 2003-2004, quelque part par là, la Ville de Québec rafraîchissait la statue du fondateur de Québec, Samuel de Champlain, et son socle en vue du 400e anniversaire de la ville. Or, sur le socle, il est écrit que Champlain fut le premier gouverneur de la Nouvelle-France, ce qui est faux. Charles Huault de Montmagny, qui va lui succéder, fut ce premier gouverneur. À l’époque, un fonctionnaire de la Ville me demanda avis. « Pour corriger l’erreur, doit-on refaire la plaque apparaissant sur le socle ? », ce qui coûterait quelques centaines de milliers de dollars aux contribuables. Je lui ai répondu : « Non, non. Faites-en même un attrait touristique, prévenez les guides d’y amener les visiteurs, histoire de leur montrer qu’on retrouve aussi des erreurs sur les monuments anciens. » Ce n’est pas nous dévaluer que d’être capables de se moquer de nous-mêmes ou de nos ancêtres, qui en ont échappé à l’occasion.
Et que dire de cette plaque de la Société historique de Québec que fit apposer en 1958 feu Silvio Dumas sur la façade du 9 1/2 rue Buade pour souligner une supposée découverte en 1952 des fondations de la chapelle Champlain… 54 ans plus tard, les touristes sont encore induits en erreur malgré un démenti formel depuis plusieurs décennies des historiens et archéologues concernant cette trouvaille. Il y a les plaques erronées mais il y a également l’absence de plaque comme celle qui pourrait rappeler la mémoire de la belle Angélique sur la façade de la maison Péan…Je me permets de vous proposer en terminant deux sites intéressants concernant les plaques et rappels historiques.
Un concernant la ville de Québec:
http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/RPCQ/resultatRecherchePlaque.do?methode=afficherResultat
et un concernant la période historique de la Nouvelle-France :
http://inventairenf.cieq.ulaval.ca:8080/inventaire/home.do
Merci à vous pour ces deux sites, Monsieur Legendre. J’irai voir cette plaque erronée rue de Buade, je ne la connaissais pas. Et que vienne enfin une plaque sur cette magnifique demeure de la belle Angélique, rue Saint-Louis ! Qu’attend-on ?
J’apprécie énormément vos commentaires « TRANSPARENTS » sur les erreurs commises par les responsables de plaques commémoratives et historiques de notre patrimoine…. nos politiciens auraient un grand intérêt à lire vos commentaires et réflexions…
Merci pour les réflexions sur la belle et flamboyante Angélique et j’espère un jour que la vérité, comme vous l’exposée, sera retenue et rendue publique et plus encore qu’une plaque reflète cette partie de notre patrimoine… encore une fois un gros MERCI…
Gilles Lefebvre
Merci beaucoup, Monsieur Lefebvre. J’ai bien hâte que cet édifice historique de la rue Saint-Louis soit souligné d’une façon ou d’une autre. Je ne comprends pas pourquoi nous tardons. Et profitons de ce moment, le jour venu, pour signaler «la belle et flamboyante Angélique» que même l’évêque de Québec, semble-t-il, trouvait de son goût.