Des Chinois prêts à en découdre avec d’autres Chinois
La plupart des Chinois qui gagnent l’Amérique au 19e siècle et au début du 20e proviennent du sud-est de la Chine, de la province de Guangdong, dont la capitale est Canton. Les Chinois de cette région, la plupart de foi bouddhiste, sont de grands voyageurs, des gens curieux, avides de découvrir. Ils ont toujours pris facilement la mer. Ce sont eux qui ont colonisé la Malaisie, par exemple.
Grands amateurs de jeux de cartes, ils raffolent aussi du fan-tan et du mah-jong. Parmi les jeux d’argent, le fan-tan est un des seuls à pouvoir se pratiquer avec un nombre élevé (plusieurs dizaines) de parieurs réunis dans une même salle. Mais la police montréalaise fait la chasse aux joueurs de fan-tan.
Au début de janvier 1901, à Montréal, trois Chinois dénoncent leurs compatriotes se livrant au fan-tan et ces derniers doivent comparaître en cour municipale. L’affaire n’en reste pas là. Les dénoncés se liguent et préparent un complot pour aller battre les délateurs. Le 8 janvier 1901, La Patrie raconte.
L’arrestation d’une bande de Chinois qui aiment à jouer leur jeu national, le fan-tan, est un fait banal qui se produit deux ou trois fois par année et qui partout n’attire guère l’attention du public. Mais que nos fils du Ciel conspirent pour tirer une vengeance éclatante contre de prétendus délateurs, voilà qui n’est pas commun du tout. On sait que d’ordinaire les Chinois, à part les fameux Boxeurs qui tiennent tête en ce moment aux armées européennes, sont d’un sang très tranquille, et qu’on ne les voit jamais cités en cour de police pour voies de fait ou autres désordres.
Cependant, hier, les trente Chinois qui ont été arrêtés sous l’accusation d’avoir joué au fan-tan ont senti tout à coup leur instincts belliqueux se réveiller, et, après avoir tenu conseil, ils ont décidé de se venger contre leurs compatriotes qu’ils accusent de trahison, en brisant tout dans leur maison et en administrant une bonne raclée aux prétendus délateurs.
Le complot ourdi fut éventé par ceux qui devaient en être victimes et, comme bien on peut le penser, le chef de la sûreté n’a pas manqué d’en être prévenu. En effet, vers 9 hrs hier soir, trois Chinois tremblant de peur vinrent implorer l’assistance des détectives. Les conspirateurs devaient monter à l’assaut des résidences à minuit, l’heure des crimes ! Le chef de la sûreté organisa un peloton de détectives, puis vers 11 hrs se rendit dans China Town, à la tête de ses hommes. Tout était silencieux dans ces endroits.
À peine quelques passants troublaient-ils de leurs pas le silence de la nuit. Les détectives s’étaient dispersés et se tenaient cachés dans l’embrasure des portes, de manière à pouvoir se réunir au signal donné par le chef.
Minuit sonna.
Les policiers aux aguets virent des Chinois sortir de leurs maisons, l’air déterminé, mais tout à coup il se produisit un mouvement de recul chez les conspirateurs. Ce mouvement se changea bientôt en un sauve qui peut général. La vue du robuste Picard avait suffi pour mettre en déroute cette bande de lièvres.
Les détectives ont repris le chemin du poste vers 1 heure du matin. On croit que le complot qui a si misérablement avorté a reçu son coup de mort, et qu’on ne tentera plus de le mettre à exécution.
Source de l’illustration tirée du journal newyorkais Frank Leslie’s Illustrated Newspaper, du 17 décembre 1887 : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/19/Fan-Tan_in_New_York_City_1887.jpg, Voir aussi la page Wikipédia en langue anglaise sur le fan-tan : http://en.wikipedia.org/wiki/Fan-Tan.
À l’adresse suivante on trouvera un texte en français sur le fan-tan rédigé par Xavier Paulès, de l’Institut de culture orientale de l’Université de Tokyo : http://www.reseau-asie.com/cgi-bin/prog/gateway.cgi?langue=fr&password=&email=&dir=myfile_colloque&type=jhg54gfd98gfd4fgd4gfdg&id=421&telecharge_now=1&file=a37paules_xavier.pdf