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Les glaçons

L’écrivaine Michelle Le Normand s’est arrêtée un jour à ses souvenirs d’enfance à L’Assomption, dans la région de Lanaudière, au début du 20e siècle. Extrait.

Voyez-vous bien le tableau : cinq ou six petits enfants qui cheminent sur la route battue ou dans la rue en suçant fièrement leur glaçon ? C’est à qui le rendra plus pointu, aussi fin qu’un crayon et clair et bien poli. On l’enfonce à maintes reprises jusqu’au gosier et il en sort adouci, affiné, luisant.

Et les petites langues roses lèchent encore, en agaçant : « Regardez, c’est moi qui ai le plus beau ! » Parfois sous les dents qui mordent malgré elles, un glaçon se casse et son petit propriétaire s’arrête, et recommence à viser le bord des toits avec les mottons de neige dure ! S’il atteint le plus long et le plus gros, il en fera une merveille, un énorme crayon de vitre transparente.

La neige est blanche et lustrée, parce que le soleil l’a un peu fondue. La campagne est paisible. Le ciel est bleu et se nuance au couchant. Le petit village dormirait sans ces enfants, et on dirait que personne n’est là pour admirer sa beauté tranquille, et la rivière blanche bordée d’arbres nus dont les ramures sont belles quand même, tout en petites branches noires enchevêtrées, au travers desquelles on voit l’azur !

Les glaçons bien lisses, on écrivait, de leur fine pointe, des noms sur la neige. Chaque jour de l’hiver, on en avait ainsi gravé, et le lendemain ils étaient disparus. Tout s’en va… surtout les empreintes sur la neige, qui efface tout !

 

Michelle Le Normand, Autour de la maison, Montréal et Paris, Éditions Fides, 1944, p. 106s.

Cet ouvrage, publié d’abord en 1916 et couronné par l’Académie française, a connu un grand succès.

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