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D’un livre qui est à la fois un hommage au merveilleux et une anthologie des grands textes tenant du merveilleux

Le médecin et écrivain français Pierre Mabille (1904-1952) a publié en 1940 cet ouvrage, Le Miroir du merveilleux. On reviendra assurément à ce livre étonnant à quelques reprises, mais d’abord voici quelques phrases que l’auteur échappe dans son introduction.

Pour moi, écrit-il, comme pour les réalistes du moyen âge, aucune différence fondamentale n’existe entre les éléments de la pensée et les phénomènes du monde, entre le visible et le compréhensible, entre le perceptible et l’imaginable.

Dès lors, le merveilleux est partout. Compris dans les choses, il apparaît dès que l’on parvient à pénétrer n’importe quel objet. […]

Le merveilleux est encore entre les choses, entre les êtres, dans cet espace où nos sens ne perçoivent rien directement mais qu’emplissent des énergies, des ondes, des forces sans cesse en mouvement, où s’élaborent des équilibres éphémères, où se préparent toutes les transformations. Bien loin d’être des unités indépendantes, isolées, les objets participent à des compositions, vastes assemblages fragiles ou constructions solides, réalités dont nos yeux ne perçoivent que des fragments mais dont l’esprit conçoit la totalité. […]

La science sera une clef du monde dès qu’elle sera susceptible d’exprimer les mécanismes de l’Univers dans une langue accessible à l’émotion collective. Cette langue constituera la poésie nouvelle lyrique et collective, poésie dégagée enfin des frissonnements, des jeux illusoires, des images désuètes.

La conscience cessera alors d’enfermer les élans de la vie dans un corset de fer ; elle sera au service du désir ; la raison, dépassant le plan sordide du bon sens et de la logique où elle se traîne aujourd’hui, rejoindra à l’étage des transcendances les grandes possibilités de l’imagination et du Rêve. […]

Qui veut atteindre ce merveilleux profond doit libérer les images de leurs liaisons conventionnelles, liaisons toujours dominées par des jugements utilitaires : apprendre à voir l’homme derrière la fonction sociale, briser le barème des valeurs dites morales en le remplaçant par celui des valeurs sensibles, surmonter les tabous, le poids des défenses ancestrales, cesser d’associer l’objet au profit que l’on peut en tirer, aux prix qu’il a dans la société, à l’action qu’il commande.

Cette libération commence dès que par un moyen ou par un autre, est levée la censure volontaire de la mauvaise conscience, dès que ne sont plus entravés les mécanismes du rêve. Un monde nouveau apparaît alors où le passant aux yeux bleus devient roi, où le corail rouge est plus précieux qu’un diamant, le toucan plus indispensable que le cheval de labour.

La fourchette a quitté le couteau son ennemi sur la table du restaurant, elle est maintenant entre les catégories d’Aristote et le clavier du piano. La machine à coudre, cédant à une attraction irrésistible, s’en est allée dans les champs, planter la betterave. Monde de vacances, soumis au plaisir, sa règle absolue ; tout y semble gratuit et cependant tout se replace bientôt suivant un ordre plus vrai, suivant des raisons profondes et une hiérarchie rigoureuse.

 

Tout un programme ! Pas nécessairement. Il s’agit de se décider à passer du premier degré que l’auteur décrit bien ici — le monde du bon sens et de la logique, du conventionnel, des jugements utilitaires, des propos banals qui ne veulent à peu près rien dire — pour gagner le second degré, s’ouvrir à un nouveau monde.

En son temps, ce cher Jacques Prévert ne tenait pas un discours différent.

 

Pierre Mabille, Le Miroir du merveilleux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1962.

Attention, ce livre n’en est pas un sur le fantastique, mais sur le merveilleux. L’auteur le précise bien.

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