Le poète et penseur contemporain Kenneth White sur le mythe
Notre monde a un besoin brûlant d’une culture intellectuelle, qui soit centrée autour de quelque mythe unificateur.
Mais parler de « mythe », n’est-ce pas mépriser l’intellect humain et abandonner tout espoir — inviter à régresser jusqu’à une mentalité pré-rationnelle et pré-logique ? N’est-ce pas là manifestement un pas en arrière plutôt qu’une « avance » dont on nous rabat les oreilles ?
En fait, dans l’esprit humain, le processus de rationalisation n’a pas entraîné un dépassement de la conscience mythique, mais n’a fait que la réprimer. Cela explique que cette conscience mythique (pareille en cela à tant d’autres caractéristiques mentales que la civilisation a réduites à l’état d’impulsions souterraines) refasse surface sous des formes dégradées et déformées.
La vie moderne grouille de ces manifestations dégradées de la conscience mythique — il suffit de penser à l’intérêt passionné que suscitent les horoscopes, au fanatisme désespéré qui pousse les gens à adopter toutes sortes de religions plus ou moins pathologiques, au caractère fortement irrationnel de l’activité politique.
Proposer un mythe, c’est-à-dire un complexe d’images que sous-tend une conception de la vie, c’est encourager, avant tout, le développement de l’esprit humain en tant que totalité, et le développement d’une forme de vie qui y corresponde, sur le plan personnel comme sur le plan social. C’est ranimer le sens d’une humanité harmonieusement développée.
Kenneth White, La Figure du dehors, Grasset et Fasquelle, 1978, p. 144.