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Le «chant» de la nuit

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Aimez-vous la nuit ? Comment donc vous vendre d’aimer la nuit si vous n’arrivez pas à vous y faire ? Nous sommes les enfants de la nuit. Nous venons de la nuit. Nous n’avons qu’une vie, et où que nous soyons, à l’Équateur comme dans le très grand Nord ou le très grand Sud, nous faisons une moyenne : la moitié de nos jours sont de nuit.

La plupart d’entre nous ont été conçus dans le «secret», la nuit, ou entre chien et loup. Mais que ce soit en ces heures ou en plein jour, ce fut un coup de folie. Il y a deux personnes, si heureuses alors, qui souhaitaient que ça dure éternellement. Nuit ou jour.

Mon grand ami Luc Bureau, bien précieux m’est-il, a publié un formidable ouvrage à L’Hexagone, à Montréal, en 1997. Vous faites de l’insomnie, allez, debout ! attrapez ce livre. Après une trentaine de minutes de lecture, vous retrouverez votre sommeil dans les bras de votre mère.

Extraits. Seulement quelques extraits. Nous y reviendrons. Il y a là un repos.

Nous savons, distraitement, que la lumière qui inonde la Terre durant le jour nous est étrangère. De l’aube au crépuscule, le Soleil, ce redoutable envahisseur prend les pleins pouvoirs, fait la chasse aux ombres, balaie de ses feux l’ensemble de la planète. Nous subissons cette lumière, elle ne nous appartient pas, elle n’est pas notre création, elle nous vient d’ailleurs. C’est une lumière «cartésienne» qui ne privilégie aucun point en particulier de l’espace, qui éclaire indifféremment océans et déserts, montagnes, savanes, villes, cimetières et dépotoirs : «Le jour tous les lieux sont gris.» L’homme pourrait disparaître de la surface de la terre que cette lumière-là n’en continuerait pas moins d’opérer avec la rigueur et la régularité d’un mécanisme d’horloge. Aucune panne n’est à craindre d’ici à l’apocalypse.

Autant la nuit ferme ses yeux sur la nature, autant elle les ouvre sur l’homme. Elle n’en a que pour lui : ses villes, ses rues, ses torches de gaz et autres brasiers. Chaque lumière dans la nuit est une cristallisation, une amarre, une signature d’une fraction d’humanité dans l’espace qui, autrement, serait inaccessible et insignifiant.

Nous participons chaque jour, sans y porter égard, au spectacle le plus dramatique que le Ciel et la Terre puissent offrir, l’envoilement noctuaire d’une partie du globe.

C’est nuitamment que l’homme habite. L’objet de ce chapitre, c’est l’habitation. L’habitation de l’homme, il va sans dire. Car seule l’espèce humaine habite. Les autres se mottent, se terrent, se perchent, juchent, gitent ou nichent.

Aucune nécessité de lumière pour dire la parole. Aucun besoin de voir les mots pour les entendre. Le verbe vole, échappe à la pesanteur, traverse l’ombre opaque. J’imagine que la première parole fut un simple murmure proféré dans la nuit, quelqu’un l’entendit et le répéta à son tour. Était-ce le verbe «aimer» ou quelque analogue ? Le jour on se disait des gestes, le soir on s’échangeait des mots. Autant ils étaient rares, autant ils étaient précieux et pleins. Économie de mots, plénitude de sens : l’avènement de la parole correspond peut-être à celui de toute poésie.

 

Mon ami Luc est géographe. La géographie fut pour lui la porte vers la compréhension de la vie, de l’univers, qui l’a mené à la sagesse.

J’attends toujours sa prochaine réflexion. Il y a de ces êtres comme ça qui confortent.

Luc Bureau, Géographie de la nuit, Montréal, L’Hexagone, 1997, 256 pages.

Un commentaire Publier un commentaire
  1. Hélène Gonthier #

    Merci pour ce très bel extrait!
    J’aime aussi beaucoup cette façon de raconter,
    cette poésie simple et remuante à la fois!
     » Le jour on se disait des gestes,
    le soir on s’échangeait des mots »

    19 juillet 2017

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