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«L’Acadienne»

dame-de-profilJules-Mario Lanos trouve fort belle l’Acadienne et la chante.

— Beau brin de fille acadienne,

Peut-on se reposer ici ?

Un jardin comme celui-ci

Invite à la méridienne.

 

 

Peut-on passer cet échalier

Et respirer la mignonnette

À l’ombre de la maisonnette

Et des houblons en espalier ?

 

Et sur le pas de votre porte,

Belle fille, peut-on s’asseoir

En entendant le frais du soir,

Cet air frais que la nuit apporte ?

 

J’étais à l’aurore en chemin,

Armé de mon bâton de coudre,

Et j’ai bu pour laver la poudre

L’eau de mainte auge, avec la main.

 

Vous pouvez broder, jeune fée,

Comme vous êtes les bras nus.

Je ferai mes yeux retenus,

Brodez la gorge dégrafée,

 

Je ne suis point de ces passants

Qu’on fuit ou chasse avec colère;

Tenez voici mon scapulaire

Et mon rosaire aux grains luisants.

 

Au cher pays d’Évangéline

J’arrive pèlerin pieux,

Plein de respect pour vos aïeux

Et les sœurs de votre héroïne.

 

Cousez : en faisant votre point,

Si j’admire vos yeux bleu-pâle

Et votre cou touché du hâle,

Cousez et ne m’en veuillez point.

 

Si j’admire vos seins rebelles

Crevant les murs de leur prison,

Sachez quelle en est la raison :

Chez nous, les filles sont moins belles.

 

— J’ai dans cette huche en sapin

Des chanteaux frais à belle croûte

Qui font des jambes pour la route :

Mangeriez-vous de ce pain ?

 

J’ai là quelques jarres de crème,

Des fraises en panier d’osier

Qui vous tirent l’eau du gosier :

Pour nous, c’est un régal suprême.

 

Et la belle fille me sert

Dans son jardin ces bonnes choses,

Parmi les effluves des roses

Et des sourires au dessert.

 

— Combien, charmante paysanne,

Vous dois-je ? Il faut partir. Réglons.

— Rien, pèlerin. Dans nos vallons

Nous aimons la Vierge et sainte Anne;

 

Si de Lourdes ou de Beaupré

Vous avez une sainte image,

Vous pouvez m’en faire l’hommage;

Mais l’argent d’un hôte est sacré.

 

— Je décrochai de sa chainette

Une pauvre petite croix

Bénite à Rome que trois fois

Elle baisa grave et muette.

 

Et quand au coude du chemin

Je regardai, la fille accorte,

Debout sur le seuil de sa porte,

Me disait adieu de la main.

 

Jules-Mario Lanos

 

Le Monde illustré (Montréal), 3 novembre 1900.

Je ne connais pas cet homme bien audacieux pour l’époque. Chose certaine, Robertine Barry le connaît bien, il collabore régulièrement à sa publication, Le Journal de Françoise.

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