Le soleil de quatre-vingts étés
Le forestier et écologiste américain Aldo Leopold (1887-1948) est considéré comme une sorte de Thoreau du 20e siècle. À la manière de l’homme de Concord, Massachusetts, il fréquenta beaucoup la nature.
Dans son ouvrage Almanach d’un comté des sables (Paris, Flammarion, 2000, p. 24-26), il pense à son grand chêne de quatre-vingts ans qu’il doit maintenant débiter, mais il sait que ce dernier lui redonnera en bois de chauffage le soleil de ses quatre-vingts étés.
Et c’est la lumière de tous ces étés qui va maintenant réchauffer ma maison et mon âme pendant quatre-vingts tempête d’hiver. À chaque tempête, le panache sortant de ma cheminée informera toute personne que cela pourrait intéresser que le soleil n’a pas brillé en vain.
Mon chien se moque de savoir d’où vient la chaleur; mais il veut qu’elle vienne, et vite. À vrai dire, la faculté que j’ai de la faire advenir lui semble magique; quand je me lève, avant l’aube, dans le noir et le froid, et que je m’agenouille en frissonnant pour ranimer les braises, il vient se glisser délicatement entre moi et le petit bois que je viens de disposer sur les cendres, si bien que pour y mettre une allumette, je suis obligé de passer mon bras entre ses pattes. Voilà, j’imagine, le genre de foi qui déplace les montagnes.
Ce fut un éclair qui mit fin à la carrière de producteur de bois de ce chêne-ci. Nous fûmes réveillés une nuit de juillet par la foudre, comprenant qu’elle avait dû tomber près de la maison. Mais comme elle ne nous avait pas frappés personnellement, nous nous rendormîmes aussitôt. L’homme ramène tout à sa propre mesure; c’est vrai en particulier de la foudre.
Le lendemain, alors que nous faisions un tour sur la dune en nous réjouissant de concert avec les trèfles et les rudbeckies qui avaient accédé cette nuit-là à la pluie, nous découvrîmes un énorme morceau d’écorce fraîchement arraché au chêne du bord de la route. Le tronc présentait une longue cicatrice en forme de spirale, large de trente centimètres et pas encore jaunie par le soleil.
Le lendemain, les feuilles étaient toutes racornies, et nous sûmes que la foudre venait de nous léguer sept stères de bois de chauffage potentiel.
Merci, cher Jacques, pour cette piste de Leopold. Tout à fait la mise en mots poétique de la nature, de la nature writing.