De Michel Serres, la nuit
Il m’est arrivé un jour, dans le RER, à Paris, de saluer le grand Michel Serres, philosophe et homme de lettres, assis tout juste à mes côtés, en train de lire, dans le fauteuil perpendiculaire au mien. Je ne l’ai pas dérangé davantage, il fut d’une politesse exquise.
Virginie Leroux, maître de conférence de littérature à l’université de Reims a publié un jour (Paris, Les Belles Lettres, 2013) une anthologie de plus de 120 textes sur la nuit antique, Nuits antiques. Son travail est précédé d’un entretien entre Michel Serres et Michel Polacco sur la nuit diffusé sur France Info le 1er mai 2011. Extrait du propos de Serres.
Je finis par la beauté de la nuit. Quoi de plus beau que les constellations : Orion, le Capricorne, Cassiopée, la Grande Ourse, les supergéantes rouges comme Bételgeuse, bleues comme Rigel, Véga au zénith du ciel d’été, Sirus, du Grand Chien, et surtout Antares, la tête de Méduse, scintillant de mille et une couleurs comme un diamant.
Je viens de citer des noms grecs, vous l’avez remarqué. Antarctique signifie « de l’autre côté de l’Ourse », Arctique, « l’Ourse « et « Arcturus, « la queue de l’Ourse ». Le nom latin est Septentrion, c’est-à-dire les « sept bœufs de labour » (septem triones) de la Grande Ourse. Comptez-en les étoiles, vous en trouverez sept : trois pour la queue, quatre pour le chariot. Rigel et Bételgeuse sont des noms arabes qui veulent dire l’épaule et le pied.
Cette collection de noms latins, grecs et arabes, etc., vient d’une vieille tradition : disons entre le Moyen Âge et l’Âge classique, musulmans, chrétiens, juifs ou athées, ces astronomes travaillèrent ensemble et donnèrent alors aux étoiles des noms empruntés à leur langue, à leur culture et à leur religion. Alors, dans la nomination des étoiles et des constellations du ciel s’inscrivit la paix des civilisations, la paix des cultures au sein de leur diversité.
Tout à l’heure, je disais que le meilleur modèle du savoir, par la diversité des repères, des intuitions et des découvertes, était plutôt la nuit que le jour; de même, le modèle politique, linguistique et culturel de la paix est, de nouveau, la nuit, alors que, pendant le jour, on ne perçoit que cette vérité unique dont l’exclusivité peut devenir accablante et totalitaire.
Mieux encore, règne dans les ténèbres lumineuses de la nuit une sérénité que n’importe quel voyageur du désert, alpiniste de l’Himalaya ou grimpeur dans les Andes a ressentie lorsqu’il a cru que les étoiles étaient si proches qu’il pourrait les toucher de la main. La nuit est plus savante, multiple et paisible que le jour.
La photographie d’Antarès et de la région qui l’environne, de Dick Locke, provient du site dl-digital.com/astrophoto.
Magnifique! Altitude du regard comme dirait Pierre Vadeboncoeur. Merci!
Merci beaucoup, Monsieur Desmarais. Vraiment un grand monsieur, cet homme !