Retour sur la mouche
Voici le propos d’un violent adversaire de la mouche domestique.
Occupons-nous d’un insecte indiscret, incommode, dont nous ne nous méfions pas assez; nous voulons parler de la mouche qui, chaque année, pendant les chaleurs, envahit notre foyer, nous harcèle sans cesse, se joue de nos menaces et de nos coups et pousse l’audace jusqu’à goûter à tous nos mets…. Nous la tolérons pourtant, parce que sa présence est devenue une habitude, et aussi parce que nous sommes impuissants à l’exterminer.
En les voyant voleter dans nos appartements, les mouches paraissent bien inoffensives, lorsqu’elles se posent sur le bord de notre assiette et s’acharnent après une miette de sucre ou un fruit, nous prenons plaisir à les observer, nous admirons la finesse et l’agilité de leurs pattes minuscules et la transparence de leurs ailes diaphanes.
Leurs familiarités ne devraient pourtant pas nous attendrir, car les mouches sont nos plus intimes ennemis. Leurs œufs engendrent des vers et leurs trompes qu’elles imprègnent de préférence de matières corrompues et de détritus de toutes sortes, transportent sur ce que nous mangeons et sur ce que nous respirons le germe de la décomposition, sans compter que par leurs piqûres elles peuvent introduire dans notre peau un virus mortel, comme le charbon ou la pustule maligne. […]
Tout le monde a observé avec curiosité le manège d’une mouche, lorsqu’elle se pose à un endroit quelconque. Elle frotte l’une contre l’autre ses pattes de devant, puis celles de derrière. Elle les passe également sur sa tête et le long de ses ailes. Pendant longtemps, on supposait qu’en agissant ainsi, les mouches faisaient leur toilette, il n’en est rien. En volant, les mouches, qui sont couvertes d’un duvet excessivement fin, ramassent dans l’air une quantité d’insectes minuscules, auxquels on a donné le nom peu harmonieux de pou.
Lorsque l’agglomération de ces parasites gêne la mouche pour voler, celle-ci se pose n’importe où, et avec ses petites pattes se raclent toutes les parties du corps, ainsi qu’on peut le voir dans un microscope. Elle réunit ainsi ces parasites à un endroit et les absorbe au moyen de sa trompe.
Les mouches auraient donc l’avantage de purger l’atmosphère de milliards d’animalcules. Quoi qu’il en soit, nous ne saurions trop recommander d’employer tous les moyens possibles pour les expulser de nos cuisines, de nos offices, de nos garde-manger, car, partout où elles se trouvent, elles propagent le poison et la décomposition. […]
Ce petit insecte envers lequel nous avons trop d’indulgence réunit tous les éléments pour nous être désagréable et pour porter atteinte à notre santé.
Ferdinand Hole.
Le Monde illustré (Montréal), 7 septembre 1889.