Les bouteilles de la désespérance
Finalement, il y a un peu plus de cent ans dans la presse québécoise, on trouve un certain nombre de mentions de bouteille à message retrouvée dans le monde sur une plage quelconque.
Généralement, ce ne sont pas des messages de joie du genre «Nous faisons un merveilleux voyage. La mer est d’huile. Tout humain devrait vivre un jour un périple aussi agréable.»
Il faut comprendre que l’heure n’est pas à la croisière comme aujourd’hui. Des humains font métier de travailler sur l’eau, d’autres ont pris le bateau pour aller, prosaïquement, d’un lieu à un autre, faute d’un autre moyen de transport. On n’imagine pas encore les voyages en aéroplane.
Aussi, habituellement, les messages ne sont guère à la joie.
En voici deux autres que ceux apparaissant déjà sur ce site interactif.
Le 14 septembre 1883, le quotidien de Québec, Le Canadien, propose cette nouvelle en provenance de Charleston, sur la côte atlantique, en Caroline du Sud, où fut trouvée une bouteille sur le rivage.
Une bouteille est venue s’échouer au rivage. Elle contenait la note suivante et sans date :
«Le yacht à vapeur Catherine, parti de New York pour Jacksonville, est sombrant en face de Hatteras.
Tous les hommes de l’équipage sont aux pompes.
Il n’y a pas d’espoir de salut.»
* * *
Le lendemain, 15 septembre 1883, toujours dans le même journal :
Halifax, 14 — Il y a quelques jours, le capitaine Havas, de Freeport, dans le comté de Digby, a trouvé au rivage une bouteille contenant un morceau de papier sur lequel on déchiffrait à peu près ce qui suit :
«4 avril 1876.
«Mon Dieu ! Mon Dieu ! Voilà la vingt cinquième jour que nous sommes en mer. Nous étions à bord du navire Catherine Jane, parti de Londres pour Boston et il a sombré dans une tempête le 10 mars au milieu de l’Océan.
«L’équipage prit les chaloupes mais Elmire Jennisson et les provisions du bord furent emportées à la mer.
«Nous sommes presque morts de faim.
«Pas de voile en vue.
«John Bell.»
Le Catherine Jane était un brigantin de 116 tonneaux, construit à Pembrooke, Angleterre, en 1858.
On n’a pas entendu parler de lui depuis quelques années.
Cette dernière phrase est chargée de sens. Il y avait beaucoup de navires en mer en même temps au cours de ces années. Davantage qu’aujourd’hui assurément. Même avec le télégraphe, on ne les suivait pas tous à la trace, les plus petits ne disposant peut-être même pas de cet appareil. Parfois, un journal pouvait écrire : «Le navire untel devait entrer au port voilà 14 jours, il est sans doute perdu».
Un journal comme Le Canadien tient une colonne pour indiquer où se trouvent tel et tel navires lors de leur entrée dans les eaux continentales. Bien sûr, pour avertir son public lecteur. Et on est sans doute heureux de les voir dans le Saint-Laurent, sains et saufs, en direction de Québec.
La navigation d’alors semble franchement plus hasardeuse. Et on imagine l’écho que connurent les naufrages de l’Empress of I’Ireland et du Titanic.