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Ne coupons pas les ailes des oiseaux à leur premier envol

jacques ferronParfois, les critiques littéraires québécois de la fin de la trentaine et du début de la quarantaine sentent le besoin de varloper l’auteur-e, plus jeune, d’un premier ou d’un second livre. C’est méchant. Ces textes peuvent être franchement blessants pour ces premiers auteur-e-s, au point de les paralyser, au moins pour un temps. On ne fouette pas une fleur encore à l’état de bouton.

Mon premier livre solo — Québec sous la Loi des mesures de guerre 1918 — fut publié à l’automne 1971. Mon ami Pierre Cantin, étudiant avec moi au séminaire de Trois-Rivières en notre jeune temps, me fait parvenir à l’instant un texte du médecin, écrivain, dramaturge, journaliste et fondateur du Parti Rhinocéros Jacques Ferron (1921-1985). J’avais perdu ce texte.

Dans la revue Le Maclean (Montréal), de janvier 1972 — L’Ontario quétaine et la couette française — Ferron termine sa chronique mensuelle par ces quelques mots :

De Trois-Rivières aussi, celui-là un livre d’histoire, de cette histoire qui n’est pas encore morte, qui vit en chacun de nous et le rattache à la conscience collective, c’est Québec-1918 écrit sans vaine recherche et de main sûre par Jean Provencher. Autrement dit, le style n’en est pas apparent et n’entrave pas le récit, rapide du commencement à la fin par l’incessante relance des trois temps, présent, passé, futur, relance en fonction du discours où ces temps équivalent à trois vitesses différentes et n’ont aucun rapport avec le tempo historique lui-même. Cela n’a pas le fringant de Michelet. Michelet ne cache pas sa passion, Provencher le fait. Cela ressemble à du Voltaire. En tous cas, l’air de rien, c’est rudement bien écrit.

Et j’ai tout de suite répondu à mon ami Pierre :

Tu ne sais pas comment à l’époque ça m’a donné un encouragement, une poussée dans le dos incroyable, alors que je n’avais pas encore 30 ans. Et venant de Ferron que j’aimais tant pour son indépendance d’esprit, qui évoquait en plus mon ami Gérald Godin, qui m’abordait toujours en me disant «Salut, mon ti-jean!», vraiment je fus énormément touché.

Ce texte de Ferron, comme les encouragements constants de mon maître l’historien Jean Hamelin, sont beaucoup responsables de la suite de ma vie. Au cours des deux ou trois ans qui suivent, je me ferai casser les jambes par deux journalistes pour mes livres René Lévesque, Portrait d’un Québécois et La Grande peur d’octobre ’70. Mais mon envol était déjà pris. Je n’ai eu qu’à délaisser le champ d’intérêt de ces deux journalistes, le politique, et faire la choix d’un autre monde, Sainte-Anastasie et Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent.

Je m’éloignais de leur monde. Je partais pour ailleurs, là où plus jamais ils ne pourraient me rejoindre. Déjà Ferron m’avait donné une poussée.

Ne coupons pas les ailes des oiseaux à leur premier envol !

 

La photographie de Jacques Ferron provenant des archives de La Presse est parue dans l’édition du 29 juin 2013, attachée à un article de la journaliste Marie-Christine Blais.

Merci, cher Pierre, cher ami, pour le rappel de ce texte de Ferron qui me fut bien important.

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