Mieux connaître les loups plutôt que de les abattre
En France, le philosophe Baptiste Morizot vient de faire paraître Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant (éditions Wildproject).
Dans le journal Le Monde du 25 juin 2016, Catherine Vincent propose une entrevue avec l’auteur. S’appuyant sur les observations menées dans le parc national de Yellowstone (Etats-Unis), où les loups ont été réintroduits en 1995, l’auteur montre que les Français se sont trompés en faisant la promotion de l’abattage des loups.
Au prix de très longues et patientes observations, on a découvert à Yellowstone que les meutes de loups sont de dynasties historiques, dans lesquelles les individualités jouent un rôle majeur. «Pour comprendre leurs conduites de chasse, on ne peut pas se contenter de compter le nombre de loups et le nombre de proies : il faut tenir compte des dynamiques des meutes, de leur territoire, des événements qui y surviennent des retournements de situation, des luttes de pouvoir…»
«Dans certaines situations, on observe ainsi que des meutes de loups passent très près des troupeaux [de moutons], mais ne les attaquent pas. Dans d’autres, bien qu’ils aient à leur disposition beaucoup d’ongulés sauvages et peu de moutons, les loups attaqueront. Mieux comprendre les raisons de ces variations permettrait peut-être de moduler leurs dynamiques de chasse. De réfléchir, par exemple, à des dispositifs d’effarouchement plus finement adaptés aux circonstances.»
La chasse au loup à l’aveugle ne serait pas la bonne manière. «Si vous tuez un parent reproducteur, dit le philosophe, vous pouvez fragmenter la meute : elle risque alors de devenir trop faible pour assurer la stratégie de chasse habituelle et de reporter sa prédation sur les troupeaux — cela a été démontré maintes fois. Par ailleurs, je soutiens qu’établir des relations diplomatiques avec cette espèce serait plus efficace à long terme que ces mesures guerrières. Cela implique d’utiliser une compétence que même les bergers soulignent : l’extraordinaire intelligence inductive du loup.»
Morizot dit qu’il faut compter avec la grande intelligence du loup. «Le loup est capable d’acquérir très vite des informations, et comprend très bien la punition. Si on lui signifie, par des mesures d’effarouchement adaptées à sa fenêtre perceptive, qu’il n’est pas le bienvenu, il le retiendra, et peut-être même le transmettra-t-il à sa meute. On peut ainsi fixer aux loups des limites sur notre territoire commun, non pas en créant des barrières physiques, mais en transformant leurs usages de ce territoire.»
À ce sujet, l’auteur du livre s’en remet à la technique imaginée par Dave Ausband. «Dans l’Etat de Montana, le biologiste américain Dave Ausband s’est inspiré des codes olfactifs utilisés par les meutes pour délimiter leurs territoires. Il a synthétisé des odeurs mimant une meute puissante, les a déposées sur 50 km de long et a ainsi dissuadé la plupart des loups, au moment des alpages, de s’approcher des troupeaux.»
Pour Morizot, on pourrait ainsi penser autrement notre relation au loup. «On peut espérer le convaincre progressivement que s’attaquer aux troupeaux n’est pas rentable et qu’il vaut mieux qu’il reporte son énergie sur la chasse aux cerfs, chevreuils ou sangliers qui prospèrent dans nos forêts [de France, bien sûr].»
J’ignore si les éleveurs de moutons du Québec sont à couteaux tirés avec les loups de nos forêts.
L’image de loups dans le Parc national de la forêt bavaroise, en Allemagne, est de Imago/StudioX. Elle est rattachée à l’entrevue menée par Madame Vincent parue dans Le Monde.