La grande Marguerite Yourcenar est séduite par les propos de Roger Caillois
En particulier par ses réflexions à partir des pierres. À ce sujet, l’écrivain et sociologue français a proposé trois ouvrages, dont Pierres. Nous en parlions voilà peu. Yourcenar termine ainsi son texte de 25 pages sur l’hommes et ses écrits :
J’ai pensé à Caillois tout récemment, dans le cercle de pierres levées de Keswick en Cumberland, où je fis ce geste qui consiste à appliquer l’oreille, la joue et les paumes sur la roche pour tenter de saisir la vibration des pierres. Non pas l’écho des voix du néolithique, déjà si voisines des nôtres, dans ce lieu où de préhistoriques disparus ont certainement parlé et prié. Rien que le son inouï du roc, la sourde vibration qui dure depuis des âges que nous ne chiffrons même pas.
Je ne dirai pas, notion que pourtant j’accepte à demi, que son fantôme était tout proche : quiconque a foi en la communion des esprits n’a que faire de fantômes. Son nom, tout au plus, fut peut-être prononcé, petit bruit de souffle qui, si vite, expire sur nos lèvres. Mais je me disais que cet homme, non pas n’était plus, car tout ce qui fut dure encore, mais se trouvait rentré dans son royaume.
Il était allé jusqu’au bout de « l’acquiescement profond » qu’à l’en croire, vivant, il avait déjà donné. Il n’avait plus besoin de s’interroger ni de penser; comme le dit si bien un personnage de Ionesco dans Le Roi se meurt, il n’avait plus besoin de respirer. Les minéraux qui le composaient appartenaient de nouveau à ce sol dont sont nés les beaux objets qu’il ne se lassait pas d’aimer.
Mais il nous avait laissé son exemple, celui d’un homme qui, disait-il, « essayait de se diriger dans le sens des choses ». Il m’arrivera encore de penser à lui en m’efforçant d’écouter les pierres.
Marguerite Yourcenar, «L’homme qui aimait les pierres», En pèlerin et en étranger, Paris, Éditions Gallimard, 1989, p. 205. Merci à mon bouquiniste Bernard Laforce pour cet ouvrage.
Ce texte, sauf de très légères modifications, termina le discours de Marguerite Yourcenar lorsqu’elle fut reçue à l’Académie française, première femme d’ailleurs dans cette institution depuis sa fondation trois siècles auparavant.
C’est la fin de son discours de réception à l’Académie.