Un chroniqueur littéraire belge commente l’œuvre de Nelligan
L’ami d’Émile Nelligan, le poète, romancier et critique littéraire Louis Dantin (1865-1945), fait paraître en 1904 aux Éditions Beauchemin, à Montréal, la première édition des œuvres du poète montréalais.
L’ouvrage est envoyé en Europe. À Bruxelles, Franz Ansell, de la revue «Poèmes», y va d’un article que le quotidien montréalais La Patrie trouve «fort élogieux».
Il s’est conservé au Canada, possession anglaise depuis bientôt un siècle et demi, une sorte de petite patrie française où le culte de la langue maternelle s’est maintenu fidèle, vivace et fructueux. Montréal est le foyer d’où rayonne jusqu’à nous cette flamme obstinée; il y a des sociétés littéraires, des écrivains, des poètes non négligeables.
Émile Nelligan est né sur cette terre où fleurit et prospère l’irréductible traditionalisme du cœur et de l’esprit; je n’oserais assurer qu’il y ait mort, car la préface qui nous présente Émile Nelligan et son œuvre parle de sa vie en termes volontairement ambigus et qui laisse la porte ouverte à toutes les hypothèses. On y devine seulement à travers toutes sortes de réticences, de détours et de précautions que l’intelligence, lueur de l’âme, est éteinte chez Nelligan. Et la figure inquiète, un peu hallucinante qui orne la couverture du livre, est plus éloquente à mon sens que toutes les révélations.
Par exemple, il n’y a rien dans ces poèmes qui sente le Nouveau-Monde; on pourrait même imaginer lire l’œuvre d’un jeune Parisien de Paris, qui serait très pénétré de Gauthier, de Baudelaire et de Rodenbach. Certains sonnets font même penser à ce bon Soulary, dont la gloire, fort éclipsée de ce côté-ci de l’Océan, semble avoir retrouvé des dévots sur les bords de l’Ottawa.
Émile Nelligan interprète le charme des souvenirs d’enfance, la mélancolie de l’amour et les affres de la mort, avec une élégance plus souple que personnelle, et un souci de la rime riche qui se rapproche de la virtuosité. Mais son vers, qui a la fluidité soyeuse et le glissement léger des syllabes verlainiennes, est agréable à l’oreille.
Cette poésie sentimentale et sensuelle, étrange et morbide, nerveuse et avant tout «virtuose», ne laisse pas de ressembler [ici texte illisible] à la musique si souple, si prenante et si délicieusement maladive, mais souvent si superficielle, de celui que Nelligan nomme «le grand Chopin».
Franz Ansell.
La Patrie (Montréal) 3 juin 1905.
La page couverture du livre sur Nelligan apparaît sur la page Wikipédia consacrée au poète.
Malgré l’année 1903 indiquée sur la page couverture du livre, diverses sources disent bien que cet ouvrage fut publié en 1904.