«Le premier jour d’avril»
Parmi les nombreux usages dont on aime chaque année à rappeler le souvenir, il en est un surtout qui mérite une attention toute spéciale et dont l’histoire sera d’autant plus intéressante qu’il est plus en vigueur parmi nous : c’est celui que comporte la date en tête de cet article et qui est généralement connu sous le nom de POISSON D’AVRIL.
Cette dénomination du poisson d’avril donné au premier du mois surprend à premier abord vu que la pêche n’est pas encore en opération, et l’on serait tout naturellement porté à la remettre à une date plus avancée si l’on ne réfléchissait qu’il s’agit tout simplement de plaisanteries qui ont cours sous ce nom.
En effet, quel est l’heureux mortel, élevé où cette coutume est en existence, qui peut dire qu’il n’est pas devenu quelquefois le jouet de ces innocentes ruses si communes en famille ? Ou s’il est doué d’assez de pénétration d’esprit pour prévoir tous les pièges qu’on pourrait lui tendre, de combien de malheureux n’a-t-il pas excité le courroux en exploitant leur trop grande crédulité ?
Les incidents en ce genre sont fort nombreux, puisqu’ils comportent toutes les sortes de mystifications possibles; ce serait inutile d’en illustrer quelques-unes, car tous les connaissent et peut-être en ont-il imaginé de plus fines que celles que nous pourrions donner comme exemple.
L’origine de cet usage est fort obscure : plusieurs auteurs diffèrent sur ce point et le font surgir de sources tout à fait différentes. L’acception la plus accréditée est celle qui fait remonter l’origine de cette coutume au commencement du XVIIe siècle.
À cette époque, le trône de France était occupé par le fameux Louis XIII. Dans les guerres que ce roi eut à soutenir contre les factions protestantes, Richelieu, son ministre, avait fait prisonnier un certain prince lorrain qu’il avait enfermé dans le château de Nane, ville située non loin de [la] Meuse. Le prisonnier étant parvenu à s’évader le 1er avril traversa cette rivière à la nage comme l’aurait fait un poisson, lorsque ses eaux, accrues par les pluies du printemps, étaient considérablement débordées.
Ceux qui avaient été préposés à la garde du prisonnier, surpris d’une telle dextérité, prétendirent qu’on leur avait donné un poisson à garder; de là la dénomination de poisson d’avril qui se répandit bientôt dans toutes les parties de la France.
Cette acception est la plus généralement reconnue et ce qui le confirme davantage, c’est que l’on ne voit aucun exemple de l’existence de cet usage avant l’époque que nous venons de citer. Telle est l’origine toute française de cette coutume si généralement répandue de nos jours.
La Tribune (Saint-Hyacinthe), 31 mars 1893.
