« Le calme d’une ville est fait de bruit calmé »
Depuis de nombreuses années, la lumière n’étant plus la même à ce temps-ci qu’au solstice, je sens toujours le besoin de revenir à la lecture du poète Albert Lozeau. Vous vous souvenez, je vous parlais de lui le 24 juin. La condition dans laquelle il vivait l’a rendu fort attentif aux toutes petites choses de la ville. Et j’aime celui qui voit la grandeur du monde dans d’infimes manifestations.
Cela dit, même si la lumière change en ce moment, des journées fort chaudes surviennent encore, bien sûr. Et, particulièrement les samedis et dimanches, on dirait alors la ville plus calme. La chaleur oblige les citadins au retranchement.
Voici un de ces après-midi chauds, en ville, chanté par Lozeau dans un texte qu’il intitule simplement « Après-midi » :
La splendeur du soleil violente les yeux.
Les arbres ont une ombre oblique à côté d’eux.
On entend la rumeur sonore et continue
Que font les chariots lourds sur la pierre nue.
La lumière aveuglante emplit le firmament,
Et les persiennes sont closes soigneusement.
Les oiseaux sont perchés dans la fraîcheur des branches
Et regardent passer, lentes, des robes blanches.
Par instants, l’on dirait que tout fond au soleil,
Ou que la rue entière est livrée au sommeil,
Tant la tranquillité s’épand, morne et profonde,
Et semble propager sa torpeur sur le monde.
Mais ce silence est encore de sons formés :
Le calme d’une ville est fait de bruit calmé,
Et même quand la nuit sur elle étend ses voiles,
Il semble qu’un frisson descende des étoiles !
L’après-midi doré s’écoule avec lenteur,
Épuisé d’éblouissement et de chaleur,
Et, petit à petit, agonise et recule
Devant l’avènement rose du crépuscule…
Source : Albert Lozeau, Œuvres poétiques complètes, Édition critique de Michel Lemaire, parue aux Presses de l’Université de Montréal en 2002, Collection Bibliothèque du Nouveau Monde, p. 186s.
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