Si Adam et Eve n’avaient pas péché…
Après l’hiver, c’est tout de suite l’été, selon le chroniqueur du Sorelois, le bi-hebdomadaire de Sorel. Et c’est l’occasion pour lui d’une dénonciation de l’hiver. Le 4 juin 1880, il écrit :
L’été est de retour; qu’il soit le bien venu ! Quand l’hiver est délogé, c’est l’été qui le remplace, le printemps n’apparaissant ici qu’un moment pour annoncer l’arrivée de son successeur.
Pauvre printemps ! Tandis qu’ailleurs il occupe la scène conformément au programme publié par les astronomes dans les almanachs, ici ce n’est qu’un entracte très court, à peine suffisant au changement de décors.
Je n’ai fait que passer; il n’était déjà plus !
Cette semaine revoit la réapparition dans nos rues des premiers panamas, des jaquettes légères. On recherche avec empressement le côté de l’ombre dès l’heure matinale où les hommes d’affaires descendent à leurs postes divers.
Aussi, le velours, le satin et la moire ont-ils disparu de la toilette des femmes. Les soieries les plus légères sont à l’ordre du jour; les barèges et les mousselines se sont déjà montrées au jour en compagnie de la paille d’Italie ou de la paille de riz. Les mantelets ont remplacé les manteaux et les châles rendus à la nuit des tiroirs sous la protection du poivre et du camphre.
Heureux les pays où tous ces ajustements de l’hiver sont inconnus; ce n’est que là qu’on vit douze mois par an. Parmi nous, la vie naturelle ne dure que six mois. Les froides températures sont ennemies de la santé physique et de la santé morale. L’homme se porte mieux, agit mieux, pense mieux, sous l’influence vivifiante de la chaleur.
Dieu avait doté le paradis terrestre d’un été perpétuel et ce n’est pas Adam qui eût jamais imaginé les maisons closes, les paletots, les manteaux, les fourrures, tout l’attirail enfin qui surgit de sa chute pour l’expiation de sa postérité.
N’eût été le fruit défendu, nous vivrions tous au milieu des fleurs et des fruits, des conforts et des jouissances, dans la plénitude de nos facultés, sous un ciel toujours clément, sans maladie, sans gêne, sans tailleurs ni bottiers. C’était la réalité ! ce n’est plus que l’idéal. […]
L’amour est un fruit du Sud. Il faut le soleil pour lui donner toute la saveur de la maturité. Au Nord, ce n’est que le produit des serres chaudes; on y sent quelque chose de froid, de conventionnel qui l’entache de fadeur.
En fait, c’est plutôt le fantôme ou l’ombre de l’amour que l’amour lui-même, il peut s’évaporer en sonnets, se consumer en invocations, ou se fondre en élégies. L’été, c’est autre chose. Quand nous sommes murs comme des nèfles, nous comptons notre vie par les étés, c’est-à-dire par les moissons que nous avons faites. Cela dit tout et donne gain de cause à la saison qui dore les épis.
Oh là là… Et pourtant, pourtant, le froid de l’hiver revigore, conserve, oblige à quelques efforts pour être plus résistant et… on se réchauffe très bien à deux, amoureux, sous les couvertures, par une nuit froide… (alors que la chaleur perpétuelle alanguit, ramollit, engourdit… éloigne !)
Je suis bien d’accord avec Vous. Et, faute d’amoureux-reuses, une bonne douillette fait très bien le travail, je peux en témoigner.