Dans la chaleur calme de l’été
Je ne sais si vous connaissez Fadette. Journaliste et conteuse, Henriette Dessaules (1860-1946) est originaire de Saint-Hyacinthe. De 1911 à 1946, elle écrira ponctuellement dans le quotidien Le Devoir sa «lettre de Fadette». Un choix important de ses «lettres» fut publié en cinq séries de 1914 à 1926.
De la deuxième série parue en 1915, extrait d’un texte qu’elle a intitulé «Encore la petite âme».
Un calme ravissant m’entoure, rien ne bouge et toutes les ailes semblent repliées : mouches, abeilles, insectes bourdonnants qui emplissent l’air des pelouses ensoleillées sont peut-être intimidés par la demi-obscurité du bois touffu où je fuis la chaleur. Seules les fourmis et les araignées courent sur leurs longues pattes, à travers le dessin mobile qu’esquissent sur le sol brun les taches brillantes de la lumière filtrant à travers le feuillage.
Je les observe, actives et affairées, piquant au plus court pour atteindre leurs fourmilières ou leurs toiles : inaccessibles au caprice et à la fantaisie, elles ne dévient pas de leur but, et pour un peu, je les envierais ! […]
Voilà à quoi je pense en regardant zigzaguer les petites bêtes pressées qui ne se doutent pas qu’elles sont mes professeurs de sagesse, comme d’ailleurs le bon silence et l’isolement bénis de la forêt.
Quelle délivrance nous éprouvons à dépouiller l’être artificiel que nous devenons si facilement en ville ! Fini d’entendre mentir les autres et de mentir soi-même par bienséance, complicité, dédain d’entrer en lutte, lâcheté de dire sa pensée !
Échapper à l’atmosphère de vanité et de médisance où le scandale est le plaisir des conversations, c’est reprendre possession de son âme droite et sincère qui laisse arriver à elle la vérité et ose la regarder en face. Regarder en face la vérité de sa vie, qui le pourrait au milieu des grelots, des fanfreluches et des potins mondains ? Et pourtant, quoi de plus nécessaire pour nous sortir de la somnolence où nous berçons notre illusion d’être bons et d’être utiles.
Que de justesse dans ces deux derniers paragraphes. Dites moi svp, Fadette était elle un personnage ou un nom de plume?
C’est le nom de plume de madame Henriette Dessaules. Si Vous êtes chanceuse, votre bouquiniste arrivera peut-être à mettre la main sur ses Lettres de Fadette, publiées en cinq volumes. Dans mon cas, par bonheur, mon bouquiniste Bernard m’a trouvé les trois premiers réunis en un seul livre.