Le grand feu de Trois-Rivières en 1908, un bilan
Retour sur le grand incendie du Vieux Trois-Rivières.
Le bi-hebdomadaire trifluvien Le Bien public, du 22 juin 1909, revient sur ce désastre.
Il y a un an aujourd’hui, quelques minutes avant midi, la main d’un enfant allumait le brasier qui devait détruire plus de la moitié d’une ville. Quand ce midi-là, nous entendîmes le tocsin jeter ses appels désespérés, dans notre belle insouciance, nous étions loin d’imaginer que c’était le glas de la joie du grand nombre qui sonnait.
Quelle chose terrifiante que ce feu ! D’abord ce concours de circonstances étranges; cet appel sonné trop tard, cette pression insuffisante de l’eau, puis surtout ce grand vent d’ouest, ce vent de rage qui soufflait la flamme avec furie. Nous revoyons encore cette stupeur grandissante de la foule devant qui chaque minute précise davantage l’imminence du désastre.
Puis le sauvetage qui commence, lent d’abord à s’organiser, et qui enfin s’accentue, d’instant en instant, fiévreusement. La sympathie naît spontanément, chacun aide comme il peut; le courage généreux lutte d’adresse contre l’élément rageur qui précipite sa marche.
Le dévouement est partout : depuis ces militaires, superbes d’ardeur et de décision, jusqu’à ces humbles franciscains qui arrachent des flammes les enfants que les mères, affolées, oublient, ou prennent soin de ces pauvres meubles que l’on jette pêle-mêle dans la rue. C’est la charité sous la bure qui besogne et qui prie.
Puis toujours ce vent d’ouest qui pousse devant lui l’élément dévastateur : vent de colère, tantôt couchant la flamme et la faisant se tordre comme prise de délire, tantôt l’élevant dans l’air en une immense colonne blafarde; et la foule, stupéfiée, voyait tristement tourbillonner dans la fumée blême mille débris incandescents, tristes épaves de toutes ces humbles choses qui, pour deux cents familles, faisaient toute à l’heure la joie reposante d’un chez-nous.
Le secours enfin nous arrive; il nous vient de Grand’mère, de Shawinigan, de Montréal… La résistance plus effective parvient à limiter le malheur et le terrible élément, dompté, achève en grondant de carboniser sa proie.
Un an vient de passer sur cette lugubre épreuve. Les sinistrés ont donné le spectacle d’un courage, d’une vaillance de cœur extraordinaires. À peine les cendres étaient-elles refroidies que déjà nous voyions commencer l’œuvre de la reconstruction. Tout l’automne, tout l’hiver, et ce printemps plus que jamais nous avons vu surgir de ce que nous appelions la «ville morte» une exubérance de vie que nous étions loin de prévoir. De quarante-cinq à cinquante bâtisses sont déjà terminées ou près de l’être, les unes considérables contenant deux, trois et même quatre magasins : le tout dans un style et avec une élégance qui donneront à notre ville un aspect rajeuni du meilleur effet.
L’initiative privée, en tout ceci, est admirable. Nous n’avons tendu la main à personne, et les pouvoirs publics, d’Ottawa ou de Québec, n’ont pas eu pour nous l’aumône qu’il est d’usage d’octroyer en pareil cas. La loi des $400,000 n’est qu’un emprunt, ça n’est pas une aumône, et nous pouvons l’accepter sans voir diminuer notre fierté.
La gravure est extraite de la une du quotidien La Patrie du 23 juin 1908.