Un journal quotidien publié sur un transatlantique
Une grande date dans l’histoire des communications : bientôt, vous traverserez l’océan et vous pourrez acheter l’édition quotidienne d’un journal imprimé en pleine mer. L’éditorialiste de La Patrie (Montréal) souligne ce grand événement le 14 juin 1904.
On a publié la semaine dernière un journal quotidien à bord de l’un des grands transatlantiques.
Chaque jour, les voyageurs d’entrepont ont pu comme ceux de première lire les dernières nouvelles d’Europe et d’Amérique, aussi bien que suivre les péripéties de la guerre russo-japonaise.
Le journal se vendait cinq sous le numéro. Les partisans du journalisme dernier cri trouveront peut-être que c’est un peu cher, mais il faut remarquer que la circulation du nouvel organe est forcément restreinte.
La création de ce journal marque une date dans l’histoire de la télégraphie sans fil, comme dans celle des communications entre continents.
Autrefois, la traversée de l’Atlantique prenait des semaines, et pendant tout ce temps les voyageurs étaient virtuellement en dehors du mouvement général du monde.
Nous avions réduit la traversée, mais il y avait toujours une interruption de quelques jours dans les relations humaines.
Cela ne sera plus. On disait jadis : Il n’y aura plus de Pyrénées. On pourra presque dire aujourd’hui : Il n’y a plus d’océan.
Il est tout de même certains voyageurs qui regretteront un peu ce progrès. Dans la vie fiévreuse de surmenage intensif, qui devient de plus en plus la nôtre, la traversée de l’océan, avec son isolement forcé, constitue pour beaucoup une heure de repos heureux.
Nous ne sommes qu’au début des merveilles de la télégraphie sans fil. Les Russes et les Japonais sont actuellement en train de lui faire rendre en Extrême-Orient tout ce dont elle est susceptible.
Et cela nous amène à cette mélancolique constatation qu’elle n’est après tout qu’un instrument, qui double peut-être la puissance d’édification des hommes, mais aussi leur puissance de destruction. Elle est chez nous un moyen de communication plus facile, de rapprochement des nations; elle leur sert là-bas à s’entre massacrer avec plus de précision.
Plus s’agrandit le champ de nos connaissances, plus s’affirme notre maîtrise sur les choses, plus nous constatons que ces conquêtes, dont nous saluons avec enthousiasme l’aurore, ne seront profondément satisfaisantes que si elles coïncident avec le progrès moral, avec la poursuite d’un idéal plus élevé, plus noble.