Le 1er mai, on déménage
On en a mis du temps à déménager le 1er mai. Près de 300 ans. Le gouverneur Louis Buade de Frontenac l’avait décrété au 17e siècle et jamais l’idée ne nous venait de vraiment contester ce règlement. Finalement, on s’en libérera en 1972.
Nous voilà le 28 avril 1906, en pleine saison de déménagement, comme l’écrit le journal La Patrie. Allez, «il importe de prendre les choses telles qu’elles sont, et non pas telles qu’elles devraient être.»
Les déménagements ont leur psychologie et nous trouvons fort intéressant d’étudier toute cette intimité des intérieurs qui circulent par nos rues.
Mais au point de vie strictement psychologique, le déménagement est une maladie, une maladie chronique. C’est quelque chose comme une démangeaison; on ne se sent plus bien dans un endroit et l’on éprouve l’irrésistible tentation de transporter ses frusques dans un autre endroit où l’on se trouvera aussi mal au 1er mai suivant. […]
Il y a les déménagements banals, et cette dernière série est trop complexe pour que nous songions à l’étudier en détail. Ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de croquer au hasard quelques déménagements comme il s’en fait tous les ans à Montréal.
Il y a le déménagement du journaliste et du poète, pas très complexe bien souvent puisqu’il peut s’effectuer à l’aide d’une feuille quotidienne, lue la veille. Nous savons, par exemple, cet excellent ami X… qui réussit à meubler dans un seul numéro de journal sa garde-robe, son fumoir, son bureau, sa chambre à coucher, sa cuisine et sa salle à manger.
Quand il fait beau, le déménagement, ça va tout seul, malgré un peu de fatigue et un peu de tracas. Mais quand il fait mauvais, gare les meubles qui ne sont pas bien enveloppés.
Au cours de ces déménagements, il se brise parfois des meubles auxquels nous tenons ou indispensables, mais il ne faut pas se plaindre, les marchands de meubles et les ébénistes y trouvent leur affaire. Monsieur attrape parfois de jolies courbatures, mais les médecins se frottent les mains. Le déménagement offre donc du pour et du contre.
Quelques-uns déménagent pour s’éloigner d’un voisinage pernicieux, d’autres pour se rapprocher de leurs affaires, et la plupart par amour du changement. Il nous semble alors qu’on dormirait mieux les pieds vers le Levant ou dans une solitude que n’a pas encore atteint le tramway, etc.
Que de psychologie à faire en regardant seulement le pêle-mêle d’une voiture de déménagement. Si les meubles pouvaient parler, que de secrets ne se raconteraient-ils pas entre eux dans les promiscuités que leur imposent les déménageurs ?
«C’est sur mon velours, par exemple, dirait le divan algérien, que M. R… a fait ses amours et s’est fiancé à Madame. — C’est la mère de madame qui l’a donné à sa fille, aussi l’a-t-elle assez regretté ce cadeau dont profite monsieur, quand il revient trop fatigué de son club.»
«Et moi, mon cher, dirait le poêle, en ai-je assez brûlé de ces sucres à la crème que monsieur trouvait toujours excellents avant son mariage et de ces biftecks que ledit monsieur trouvait atroces après les premiers jours de l’hymen… Jours passés, vous avez fui pour toujours.»
«Et moi, dirait l’antique psychée, en ai-je assez miré de ces figures de toutes les façons, à partir de la trisaïeule au dernier bébé. Pourvu qu’on ne me casse pas en route… J’ai vu des détails absolument intimes, depuis les fausses dents de Madame, jusqu’à la perruque de monsieur…»
— Nous nous arrêtons, mais n’empêche qu’il y aurait d’autres réflexions fort intéressantes à reproduire; par exemple, les dialogues entre les portraits de Laurier et Borden [deux rivaux politiques à Ottawa], se rencontrant dans la même maison, l’un sortant, l’autre entrant; la confession du bureau-secrétaire à fond secret, etc…
Souhaitons à nos amis qui déménagent cette année d’avoir un chaud soleil, afin que les fluxions, les pleurésies, les entorses, les pouces écrasés et autres calamités passent loin d’eux.
Quel article charmant! Je ne connaissais pas l’origine de la date des déménagements fixée au 1er mai. Il est tellement vrai que c’est une coutume de chez nous que de déménager, surtout à Montréal je crois; les Européens trouve cela bien étrange…
Mais comment avons-nous déplacer cette quasi tradition au 1er juillet?
Des parents protestaient depuis près de 50 ans. Ça n’avait pas de sens de demander à un enfant de changer d’école au début de mai, à un mois et demi des examens. Perturbation à l’horizon, c’est certain. Finalement, une décision de la Régie du logement a reporté la date au 1er juillet.