Bien étranges critères de beauté
Vraiment on trouve de tout dans la presse québécoise ancienne. Par exemple : qu’est-ce donc qu’être beau, être belle ? Le journal Le Canadien du 30 janvier 1885 affirme qu’un article, si long soit-il, ne pourrait répondre à cette question. Selon ce quotidien de Québec, il y aurait «de gros volumes à écrire sur la manière dont la beauté a été comprise chez tous les peuples depuis les époques primitives».
Étonnamment — et c’est à se demander qui est l’auteur de ce texte — on apprend qu’être tatoué est un critère de beauté en Amérique du Nord. «Dans l’Amérique du Nord, c’est le tatouage qui est en vogue; le bleu, le rouge, le noir se mêlent de la façon la plus bizarre, formant des cercles, des étoiles, des triangles s’épanouissant à l’envie; le visage est un grimoire. Pour rendre cette affreuse peinture indélébile, les épingles trouent impitoyablement la chair, nul supplice ne coûte à ces malheureuses pour arriver à ce résultat envié : avoir l’air terrible et effrayant.» […]
Chacun croit ses coutumes excellentes, ses usages charmants.
Il est bon de remarquer, du reste, et pour la gouverne des coquettes futures, que les usages les plus singuliers ont eu pour origine le besoin de dissimuler quelques difformités physiques. Notons-en quelques-unes en passant.
Ces affreux et ridicules souliers connus sous le nom de poulaines, terminés en pointe, ayant parfois deux pieds de longueur, furent inventés au moyen-âge par Henri, duc d’Anjou, pour cacher une excroissance énorme qu’il avait à un pied.
Charles VIII substitua les longues robes flottantes aux habits courts, à cause de ses jambes mal faites.
François 1er, blessé à la bataille de Pavie, coupa ses cheveux et sa barbe, et les barbes de France et d’Angleterre disparurent à l’envie. […] Louis le Grand, qui avait des loupes sur la tête, se contenta d’obliger ses courtisans à écraser leurs épaules sous d’énormes et coûteuses perruques.
Une belle dame de la cour d’Édouard VI d’Angleterre inventa les mouches pour couvrir une petite verrue qui faisait tache sur une de ses blanches épaules. Les paniers ne virent le jour que parce que une certaine infante d’Espagne avait une hanche beaucoup plus grosse que l’autre, et, pendant cinquante ans, les plus jeunes et les plus charmantes femmes d’Europe furent contraintes de cacher la nuance de leurs cheveux sous une épaisse couche de farine parfumée parce que le duc de Richelieu ne voulait pas voir ses cheveux grisonnants. […]
Une seule jolie mode a surgi de cette nécessité de dissimuler une imperfection et pour cela elle mérite une mention spéciale, c’est celle du mouchoir garni de dentelle de l’impératrice Joséphine.
Joséphine avait de vilaines dents. […] Pour dissimuler son défaut, l’impératrice avait toujours à la main un mouchoir de batiste garni de hautes dentelles; tout en causant, elle le portait toujours à son visage, et cela faisait l’effet d’un nuage de dentelle parfumée qui s’agitait autour d’elle. […]
Cette mode qu’elle nous a léguée est charmante; aussi ne passera-t-elle pas comme ont fait tant de ridicules inventions créées par le besoin d’enlaidir les autres lorsqu’on ne pouvait pas parvenir à s’embellir soi-même.
En son temps, cette jeune dame d’origine anglaise, Ivy Lilian Close, fut considérée comme une reine de beauté.